Affrontement (7)
Par Alexandre Vaughan
La nuit était claire. Le ciel nocturne du désert était ce qu’appréciait le plus Chînîr. Il avait repris sa vie de nomade et il ne regrettait absolument pas son choix. Il préférait être là à goûter la paix du désert plutôt que de continuer à être le larbin du roi. La soif de conquête de Codûsûr serait sa perte, Chînîr en était certain. Le nouveau souverain de Sorûen avait dû lui même se réfréner car ses troupes commençaient à montrer des signes de lassitude, et même de mutinerie. La guerre et le sang n’étaient pas ce à quoi aspiraient la plupart des hommes.
Le domaine de Sanif, que Codûsûr avait voulu conquérir, avait finalement été relativement épargné. Ses dirigeants avaient dénoncé Oeklos et retourné leur veste pour suivre le roi de Sorûen sans combattre. Ce n’était probablement que temporaire, Codûsûr n’était pas un dirigeant capable de maintenir en paix un empire. Quoi qu’il en soit, cette étape avait marqué la fin de l’emprise d’Oeklos sur le sud d’Erûsard. Chînir pouvait goûter une paix bien méritée.
Quelque chose attira le regard du chef nomade. Un nouveau point lumineux venait d’apparaître sur la voûte céleste, tout près de la Lune. Incroyable ! Une nouvelle étoile ? En un instant, ce point devint plus brillant que la plupart des autres étoiles. Même le mince croissant de la Lune semblait pâle en comparaison. Chînîr était fasciné. C’était la première fois qu’il observait un tel phénomène dans le ciel étoilé. Il fallait qu’il prévienne son astrologue.
Chînîr se leva, mais alors qu’il commençait à marcher, il vit soudainement la nouvelle étoile disparaître, et la Lune se retrouva seule. Que s’était-il donc passé ? Erû avait-il parlé aux hommes ? Peut-être était-ce là le signe de la fin d’Oeklos ?
Ayrîa observait avec une horreur mêlée de curiosité la bataille qui se déroulait sous ses yeux. Tant de violence, de sang, de morts… Cette “diversion” allait coûter la vie à de nombreux hommes et Sorcami. Il fallait que ce combat soit le dernier, pria intérieurement la jeune femme. Aridel devait réussir, sinon rien ne pouvait justifier de telles atrocités.
Un courrier s’approcha de Djashim, debout à coté d’Ayrîa. Le général était lui aussi absorbé par ce qui se passait, et il mit un petit temps avant de se rendre auprès de l’homme qui attendait. Il lui fit un signe.
- Parlez.
- Général, nous avons des nouvelles de l’assaut sur la porte. Les troupes d’Oeklos ont apparemment hissé le drapeau blanc.
Ayrîa et Djashim se regardèrent. Ils n’en croyaient pas leurs oreilles.
- Vous êtes sûr ? demanda Djashim, affichant sa surprise. Nous n’avons même pas réussi à briser la première porte.
- Nous avons plusieurs rapport qui nous sont parvenus en ce sens, général. L’ennemi semble rendre les armes.
- Incroyable ! Prévenez l’amirale et le général Takhini. Je vais moi même me rendre sur place. Je veux voir ce qu’il en est.
Ayrîa s’interposa.
- Tu n’y penses pas ! C’est bien trop dangereux. Les combats n’ont pas cessé.
- Je dois en avoir le cœur net. Aridel a peut-être réussi ? Souhaites-tu venir avec moi ?
Djashim avait un air décidé, et Ayrîa savait qu’elle ne pourrait pas le faire changer d’avis. Elle hocha la tête.
- Bien sûr que je viens !
Djashim se rapprocha alors de sa monture et l’enfourcha. Ayrîa lui emboîta le pas et ils descendirent tous deux vers la forteresse.
Vu de près, la violence et la destruction étaient encore plus atroces. Au milieu des cratères causés par l’artillerie se trouvaient des débris de matériel et des cadavres. L’odeur était pestilentielle, même si elle était un peu masquée par le froid ambiant. Les râles des blessés et des mourants étaient à peine couverts par le bruit de l’artillerie qui continuait son pilonnage.
Djashim semblait insensible à ce spectacle, mais Ayrîa savait que ce n’était qu’une façade. Le jeune général était tout aussi touché qu’elle, voire plus. Elle avait vu ses réactions en Sorûen après chaque bataille, et elle savait ce qu’il ressentait.
Ils arrivèrent en peu de temps au poste de commandement avancé, à moins de cinquante toises de la porte. L’endroit semblait plutôt calme pour un avant-poste de combat, et un capitaine les attendait, perplexe.
- Et bien ? demanda Djashim sans préambule.
- L’ennemi a visiblement cessé d’opposer une résistance active, général. Ils ont hissé le drapeau blanc, et ils affirment que c’est Delia Setrinadoter qui le leur a ordonné, au nom de leur empereur. Elle souhaite discuter avec un responsable.
Ayrîa se demanda quel était le plan de la sœur d’Aridel. Cela ne présageait rien de bon… Ou peut-être que si ?
- Très bien, acquiesça Djashim, conservant un masque d’impassibilité. Ordonnez à nos troupes un cessez-le-feu provisoire. Je m’adresserai à Delia devant la porte.
L’ex-reine d’Omirelhen était accompagné par un homme à l’allure cruelle qu’Ayrîa devina être Walron, le premier ministre d’Oeklos. Il semblait défait, comme s’il savait que son destin était scellé. Son regard se remplit de haine lorsqu’il aperçut Djashim, mais il ne dit rien. Derrière le jeune général se tenaient Imela, Lanea, Shari, Takhini et Daethos. Tous tenaient à être présent pour ce qui semblait être une capitulation des forces impériales.
- Votre plan a, contre toute attente, réussi, dit Delia. Tous les signes laissent à penser qu’Oeklos n’est plus de ce monde. Nous n’avons plus de raisons de continuer ce combat. Walron a eu besoin d’être convaincu, mais il sait qu’il n’aura son antidote que s’il signe un armistice. J’espère que ma coopération me vaudra un peu de clémence de votre part.
- Nous verrons dit Djashim, sans s’engager. Avant toute chose je veux savoir où est Aridel.
Delia leva les yeux au ciel.
- Avec Oeklos, bien sûr. Les miroirs qui servaient de source au rayon impérial, d’après Walron, sont tous inertes, à présent.
Delia désigna Lanea du doigt.
- Je suppose que la mage vous en dira plus que moi sur ce qui s’est produit. Je soupçonne cependant que mon frère et Oeklos ont partagé le même destin. Sa mission lui a coûté la vie.
Ayrîa regarda Delia avec horreur. Impossible ! Elle entendit crier derrière elle et vit Imela prête à sauter sur l’ex-reine, un masque de douleur sur le visage. Ayrîa elle-même avait du mal à définir ses émotions. Devait-elle se réjouir de la victoire, ou pleurer la mort du Dasam qui avait été leur symbole, leur force ? Qu’avaient-ils vraiment accompli ? Seul l’avenir pourrait le dire.