Solitude (6)
Par Alexandre Vaughan
Les canons tonnaient dans l’obscurité, chaque camp tentant d’affaiblir l’autre en utilisant la puissance de son artillerie. La forteresse d’Oeklos semblait presque indestructible. Même si le contingent qui la défendait était assez petit par rapport à l’armée des assiégeants, sa capacité de résistance était grande, et la bataille était loin d’être gagnée.
C’était pour cette raison que le plan que Lanea avait concocté avec Aridel était primordial. Ils prenaient de grands risques en exposant le souverain d’Omirelhen, et en se reposant en partie sur Delia, mais le jeu en valait la chandelle. S’ils réussissaient, ils faisaient d’une pierre deux coups. Ce serait à la fois la fin d’Oeklos et celle d’Erû. Lanea craignait cependant le pouvoir et les réactions de la machine.
Comment cette entité dont la mage ignorait encore beaucoup de choses allait-elle réagir ? Dans quelle mesure avait-elle influencé ce qui allait se produire ? Peut-être était-elle déjà au courant du plan de Lanea et Aridel ? Dans ce cas, couraient-ils à la catastrophe ?
Lanea avait passé beaucoup de temps avec Aridel à peaufiner ce scénario. Avec l’aide de ses mages résistants, l’armure du “Dasam” avait été modifiée. Il savait ce qu’il avait à faire, d’abord dans la tour d’Oeklos, puis à Dalhin. Cela serait-il suffisant ? Impossible de le savoir. Impossible de connaître la l’étendue de la puissance d’Erû. Qu’est-ce que l’entité avait réellement donné à Oeklos ? Si le prétendu dieu disposait de liens avec les sanctuaires des Anciens répartis à travers le monde, qui pouvait dire jusqu’où son pouvoir pouvait agir ?
La jeune femme repassa dans sa tête les écrits de Leosam Lanestel. Le mage avait-il deviné qu’un jour le destin du monde dépendrait de ce qu’il avait découvert ? Le plus inquiétant était que tous ses écrits aient peut-être été placés là par Erû lui même, dans le but de tromper Lanea. Par certains cotés tout semblait presque trop facile.
Un mouvement attira l’œil de la jeune femme, la faisant sortir de ces sombres pensées. Le ciel s’était couvert de formes sombres qui se détachaient des nuages. Lanea reconnut les ailes des Raksûlaks, les montures volantes de l’armée de Daethos. Ces cavaliers du ciel s’étaient montrés des alliés indispensables, détruisant par surprise les dragons de l’empereur, et s’assurant la suprématie aérienne. A présent leur mission était de bombarder la forteresse, en soutien de l’artillerie. Ce n’était pas une tâche simple, et il était certain qu’ils essuieraient des pertes. La forteresse était en effet équipée de défenses antiaériennes qu’Oeklos avait récupérées de Dafashûn, et leurs traits de feu vrillaient le ciel, ne laissant aucune chance aux Raksûlaks.
Lanea suivit les montures volantes du regard. Elles se placèrent au dessus de la forteresse avec une précision surréaliste. Quelques secondes après, les remparts s’illuminèrent, éclairés par les explosions des bombes qui tombaient. Voir ce spectacle à distance était presque plus horrible que de se retrouver au milieu du combat. Cela dépersonnalisait la guerre, la transformant en macabre jeu de nombres. Mais Lanea n’oubliait pas que là bas, des gens comme elle étaient en train d’agoniser sous un déluge de feu. Elle maudissait Oeklos, et elle maudissait Erû, les responsables de ces années de malheur et de violence. Si son plan fonctionnait, ils recevraient leur dû.
La jeune femme tourna son regard vers les troupes de l’Alliance qui se préparaient au combat. Elle se devait de reconnaître qu’une chose positive était tout même sortie de cette misère. Hommes et Sorcami apprenaient, petit à petit, à combattre, et même à travailler, ensemble. Elle espérait que la victoire cimenterait cet esprit de coopération et serait le début d’une nouvelle harmonie.
On n’en était cependant pas encore là.
Lanea soupira. Quoiqu’il arrive, la fin était proche. Si tout allait bien, Domiel serait bientôt vengé, et le monde retrouverait sa liberté.
En contrebas, un clairon retentit. L’heure avait sonné. Il fallait distraire l’attention des troupes d’Oeklos, s’ils voulaient que leur plan réussisse. Les bataillons de soldats Omirelins, Niûsanifais et Sorcami s’assemblèrent et se préparèrent à marcher. Ses propres troupes de la résistance de Dafashûn les avaient également rejoint.
Lanea ne put s’empêcher de ressentir une certaine fierté et un sentiment d’espoir en voyant ces hommes et Sorcami prêts à donner leur vie pour vaincre leur ennemi. Le monde n’allait pas sombrer comme cela dans l’obscurité.
Le clairon sonna de nouveau et les troupes commencèrent leur assaut vers la porte de la forteresse. A présent tout reposait entre les mains d’Aridel.