Solitude (4)
Par Alexandre Vaughan
Des éclairs lumineux, suivis de près par un grondement sourd, perçaient l’obscurité à intervalle régulier. L’artillerie de campagne de l’Alliance avait commencé son pilonnage. Aridel savait cependant que ce déluge de feu, aussi impressionnant soit-il, serait loin d’être suffisant pour venir à bout de la forteresse. Il faudrait une puissance bien plus grande pour percer ces murs épais, et les mortiers ne seraient pas installés avant plusieurs jours. L’artillerie de campagne tiendrait cependant les troupes d’Oeklos à distance tandis que l’armée de siège se mettait en place. Après avoir longuement contemplé ce spectacle, il rentra dans la tente.
Le souverain d’Omirelhen réfléchissait toujours à la meilleure manière de limiter les pertes en vies humaines et Sorcami durant cette bataille. La guerre n’avait que trop duré. Il sentait la lassitude l’envahir, même si pour l’instant, tout semblait jouer en faveur de l’Alliance. Ils avaient réussi à prendre Oeklos par surprise, et à neutraliser la menace que représentaient ses dragons. Le plus dur restait cependant à venir.
La discussion qu’Aridel avait eu avec Lanea peu de temps auparavant n’avait fait qu’obscurcir le tableau. La mage lui avait montré comment Erû et la cité de Dalhin pouvaient être mis hors d’état de nuire, mais les risques étaient grands. Aridel ignorait s’il était réellement prêt à payer le prix de ses actions. Pourtant, il savait qu’il n’avait pas le choix. Il fallait mettre un terme aux agissements de cette machine qui prétendait manipuler leurs destins à tous.
L’anxiété rongeait l’ex-mercenaire devenu roi. Il restait tant d’inconnues. Oeklos aurait-il vraiment la possibilité de les transporter vers la cité céleste ? Que pouvaient-ils faire si ce n’était pas le cas ? Autant de questions qui venaient troubler ses pensées, par moment aussi sombres que les nuages de l’Hiver Sans Fin.
Aridel n’avait pas encore parlé à Imela de son plan, ni même du fait qu’Oeklos n’était pas son objectif final. Il savait cependant que son amante soupçonnait quelque chose : l’amirale avait l’esprit acéré. Il était malgré tout probablement plus important qu’elle reste concentrée sur la bataille, et que ni elle ni Aridel ne soient trahis par leurs émotions.
Le souverain d’Omirelhen se devait cependant d’envisager toutes les possibilités. Il fallait qu’il soit prévoyant s’il ne voulait pas que ses actions soient vaines.
Aridel avait souffert en écrivant le document qui se trouvait devant lui, roulé et scellé. Lanea l’avait contresigné et son statut de mage en faisait un témoin de marque. Le plus dur restait cependant à faire.
Le roi d’Omirelhen leva la tête, observant Shari qui attendait en silence devant lui. Il prit une grande inspiration avant de commencer.
- Shari, si je vous ai fait venir ici, c’est que j’ai un immense service à vous demander, et j’espère sincèrement que vous accepterez.
L’ambassadrice perçut instantanément la gravité de ce qui allait se dire et regarda intensément son interlocuteur.
- Je ne faillirai pas à mon devoir, Aridel.
- Ne soyez pas trop prompte à accepter, car ce que je vais vous demander vous engagera pour le reste de votre vie. C’est loin d’être agréable, mais cela doit être fait.
- Je vous écoute, dit la jeune femme, en alerte.
- Il existe une possibilité réelle que je ne survive pas à la bataille qui se prépare. Je ne peux vous donner les détails, mais ma propre vie sera sûrement mise en jeu avant la fin. Dans l’éventualité ou cela se produirait, Omirelhen a besoin d’un héritier, tout comme cette alliance à besoin d’un symbole, un chef capable de maintenir le flambeau qui l’anime. Cette personne, Shari, j’aimerais que ce soit vous. Vous êtes la créatrice de tout ceci. Sans vous et Daethos, jamais hommes et Sorcami ne seraient ici, à lutter contre Oeklos. Ce sera à vous de maintenir cette flamme si je ne suis plus là. Accepterez-vous ?
Shari, interloquée malgré son entraînement de diplomate, mit un long moment avant de répondre.
- Vous me faites là, Aridel un grand honneur dont je me juge personnellement indigne. Mais si telle est votre décision, mon devoir est de l’accepter. J’espère pouvoir être à la hauteur de la tâche que vous voulez me confier. Mon plus grand espoir, cependant, est que vous reveniez en vie de cette bataille, pour que notre alliance puisse continuer à suivre son Dasam. Sachez que vous pouvez compter sur moi, quoi qu’il arrive.
Aridel prit la main de la jeune femme et l’embrassa.
- Merci, Shari, dit il simplement.
Il lui remit alors le rouleau qui se trouvait sur la table.
- Ce sont mes dernières volontés, qui prouveront de manière officielle ce que je vous ai dit. Si le pire venait à se produire….
Aridel ne put finir sa phrase. Un officier venait d’entrer précipitamment dans la tente, haletant.
- Pardonnez mon intrusion, votre majesté, dit-il, mais une affaire de la plus importance requiert immédiatement votre attention.
- Je vous écoute, capitaine.
- Le général Djashim souhaiterait que vous le retrouviez au plus vite dans la tente de commandement ouest.
Voilà qui semblait bien mystérieux et imprévu. Aridel acquiesça.
- Je vous suis, capitaine.
Avant de partir, il se tourna vers Shari et lui adressa un signe de tête. Celle-ci lui répondit de manière similaire, indiquant qu’elle avait compris. Son regard trahissait une émotion sur laquelle Aridel n’avait aucune envie de s’attarder. Il suivit l’officier sans mot dire dans la nuit ponctuée par les tirs d’artillerie.
La tente ou Djashim avait établi son quartier général était très grande, et de nombreux coursiers allaient et venaient. Aridel y entra sans cérémonie. Il aperçut Djashim, l’air sévère discutant avec une femme. Lors qu’il la reconnut, le souverain d’Omirelhen eut la surprise de sa vie.
- Delia !