Solitude (3)
Par Alexandre Vaughan
Adikha avait froid. La Sorcami savait qu’elle n’était pas la seule mais cette pensée n’était pas suffisante pour la réchauffer. Elle sentait des frissons parcourir Daikhos, son raksûlak. Adikha avait beau avoir l’habitude de sillonner les airs à des altitudes où la température baissait rapidement, elle n’était pas totalement préparée à ce froid glacial. Le gel la prenait jusque dans les os. On était bien loin de la chaleur torride du désert de Triosakh, son pays natal.
Pourtant Adikha ne regrettait rien. Elle était heureuse d’avoir eu l’opportunité de parcourir le monde. Elle se sentait un peu comme son idole, l’ancien Ûesakia Itheros. Et quoi de mieux que de se trouver dans une contrée lointaine, survolant des terres inconnues sur le dos d’un raksûlak, les nobles montures volantes du peuple des hommes-sauriens.
Adikha était une guerrière, experte dans le dressage et la chevauchée des raksûlaks, mais elle avait toujours refusé de servir les armées combattant avec Oeklos. Le discours du baron lui avait paru creux, dénué de tout sens pratique. Il n’avait fait que répéter tout ce que son peuple voulait entendre. Il avait utilisé les Sorcami, purement et simplement. Adikha était fière de ne jamais l’avoir écouté. C’était pour cela que lorsque Daethos, le nouveau Ûesakia, avait appelé son peuple à se battre contre l’empereur, elle avait répondu et rejoint ses rangs.
Ce qui l’avait amené à cet instant, parcourant le ciel de Dafashûn, le Royaume des Mages, menant son escadrille dans une mission primordiale pour la bataille à venir. D’une certaine manière, réalisa-t-elle, le sort du monde reposait entre leurs mains.
Adikha scruta intensément le paysage qui s’étendait sous ses yeux. Les roches sombres alternaient avec des tâches plus claires, probablement de la neige. Le vue était assez monotone, et Adikha se demanda distraitement à quoi avait pu ressembler ce pays avant d’être recouvert de nuages…
Quelque chose attira son regard, la tirant de sa rêverie. Une longue langue de glace assez claire était parcourue de petits points noirs. La sorcami s’empara de la longue-vue que ses alliés humains lui avaient fournie, et la posa sur son œil. Les détails devinrent plus nets et elle put distinguer leur forme. Aucun doute possible, ils avaient bien des ailes. La résistance de Dafashûn n’avait pas menti. La base arrière des dragons d’Oeklos était là. Leur objectif était en vue.
Adikha s’empara de la torche verte qui pendait sur sa selle et l’alluma. Instantanément une flamme et de la fumée émeraude s’en dégagèrent, signalent à l’escadrille que l’attaque allait commencer.
Les cinquante Raksûlaks qui la suivaient réagirent presque instantanément. Tous virèrent vers l’objectif, et amorcèrent leur piqué. Adikha se concentra. Ils devaient détruire ces dragons avant qu’ils ne puissent s’envoler. S’ils étaient détruits, Oeklos perdrait la maîtrise des airs, et l’alliance serait proche de la victoire.
Adikha jeta un œil sur la sacoche de grenades explosives fabriquées par les mages de la résistance de Dafashûn. Cette victoire serait aussi la leur. Hommes de Sorcasard, mages Sorcami, tous avaient collaboré pour que cette attaque soit possible. Adikha ressentit une certaine fierté dans la tâche qu’elle allait accomplir. Jamais dans l’histoire du monde une telle alliance n’avait existé.
Le vent qui frappait le visage de la Sorcami était piquant, et elle ne put s’empêcher d’être grisée par la vitesse du piqué de Daikhos. Rien ne pouvait l’arrêter ! Oeklos allait enfin découvrir que priver de liberté les peuples d’Erûsarden n’était pas sans conséquences.
Elle s’empara de la première grenade et la jeta au sol en direction des dragons immobiles avant de tirer sur les rênes de Daikhos pour le faire remonter. Elle sentit alors plus qu’elle ne vit une explosion derrière elle, comme un choc sourd et un bruit de tonnerre. Une seconde explosion vint l’accompagner, puis une troisième, une quatrième, une myriade d’autres.
Une fois remontée à une altitude plus sûre, Adikha tourna la tête pour observer l’enfer que son escadrille avait déchaîné. Les dragons touchés par les grenades avaient pris feu, leurs réservoirs alimentant un incendie qui se propageait d’appareil en appareil.
Adikha leva de nouveau sa torche verte, et faisant demi-tour se remit à piquer en direction de la cible. Cette fois, elle fit tomber quatre grenades lorsqu’elle fut à portée. Elle n’osait imaginer la fournaise qui s’étendait en contrebas.
L’incendie s’était étendu et à certains endroits on y voyait presque comme en plein jour malgré l’épaisse fumée. Des corps calcinés venaient se mêler aux carcasses des dragons consumées par les flammes. Les troupes de l’alliance qui avait péri sous le bombardement d’Oeklos étaient à présent vengées. La mission d’Adikha était accomplie. Il ne lui restait à présent plus qu’à venir en aide aux troupes qui avaient peut-être déjà commencé l’assaut de la forteresse d’Oeklos.