Solitude (1)
Par Alexandre Vaughan
Imela se sentait oppressée, écrasée, comme si une chape de plomb reposait sur elle. Elle n’était pas faite pour parcourir les sombres tunnels qui circulaient dans le sous-sol du Royaume des Mages. L’amirale était une créature de la mer, avide de grands espaces et de l’air du large, pas des atmosphères confinées.
L’amirale savait qu’elle n’était pas seule à ressentir cet inconfort. Le silence qui régnait autour d’elle, rompu seulement par les bruits de pas des soldats de l’armée alliée, en était la preuve. Nul ne disait mot. C’était comme si tous avaient peur qu’au moindre bruit la terre ne vienne les engloutir.
Lanea leur avait expliqué qu’autrefois ces tunnels avaient servi de routes aux “porteurs”, ces machines permettant aux mages de se déplacer plus vite qu’un cheval au galop. Ils étaient cependant hors d’état à présent, détruits par l’éruption de L1. Les coulées de lave avaient également condamné bon nombre de tunnels, bouchés par la roche solidifiée.
Par moments, Imela regrettait de ne pas être restée à bord du Fléau des Mers. Elle ne perdait cependant pas de vue son devoir. Elle serait là pour porter le coup de grâce à Oeklos…
Imela se rapprocha de Lanea. La cheffe de la résistance de Dafashûn était en grande discussion avec Shari. Imela soupçonnait que les deux femmes avaient aussi peur qu’elle de cette sombre marche, mais elles tentaient de se rassurer en se détournant mutuellement l’attention.
- La société des mages n’était pas du tout telle que vous l’imaginez, Shari, expliquait la cheffe de la résistance. Nombre de mes semblables étaient des fanatiques enfermés dans leurs doctrines surannées. Malgré leur savoir et leur intelligence, ils étaient parfois plus arriérés en pensée que les peuples d’Erûsard et de Sorcasard.
- J’ai du mal à l’imaginer, répondit Shari. Votre peuple a hérité du savaoir de sages sages dont la science et la philosophie nous dépassaient tous.
Lanea eut un petit rire.
- Vous vous trompez lourdement. Mon expérience personnelle me l’a prouvé. Omoniel, l’homme à qui j’ai été mariée pendant de nombreuses années, était un archimage, l’un des plus haut placés dans la hiérarchie de Dafashûn. Pourtant la jalousie l’a poussé à défier Domiel en duel. Cette pratique barbare est autorisée par nos lois, anciennes et arriérées. Et c’est sans parler des traditions et des pressions de notre société. Domiel a été contraint de s’exiler en Sorcasard à cause d’elles. Je vous le répète, Shari, vous n’avez aucune raison de nous porter sur un piédestal. Nous sommes humains, comme vous. Notre seul avantage était la technologie que nous possédions des Anciens, et Oeklos nous l’a ôtée.
- Vous n’êtes que des hommes et des femmes comme nous ? Allons donc, quelle déception ! dit Imela d’un ton amer. Si vous aviez été à la hauteur, peut-être qu’Oeklos ne serait pas là. N’était-il pas l’un des vôtres au départ ?
Lanea la regarda, le regard partagé entre la colère et la tristesse.
- Vous avez hélas raison. Il s’agit d’un de nos nombreux échecs. Que des mages noirs aient pu surgir de nos rangs et mener à l’existence d’une créature comme Oeklos prouve bien à quel point notre société était faillible. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes totalement sans défense. Nous subissons comme vous la poigne de l’empereur, mais nous voulons faire ce qui est en notre pouvoir pour le renverser. C’est pour cela que nous avons décidé de vous guider dans ces tunnels.
- Hrrm, acquiesça Imela sans conviction. Quand pensez-vous que nous en sortirons, d’ailleurs ?
- D’ici deux jours, nous aurons atteint les faubourgs de Dafakin, et l’armée pourra commencer à se regrouper pour assiéger la forteresse. Mais vous le savez très bien…
- J’ai juste hâte de sortir d’ici et de pouvoir enfin frapper à la porte d’Oeklos. Qu’il connaisse la terreur qu’il a infligé au monde pendant cinq ans !
- Ne croyez pas que cela sera facile. Oeklhin, comme il se plait à l’appeler, est très bien défendue. Nombre d’entre nous laisseront la vie ici.
- Mais si nous réussissons, dit alors Shari d’un ton d’espoir, ce sera une nouvelle ère. Nous pourrons rebâtir, hommes et Sorcami ensemble.
- J’admire votre optimisme, dit Lanea, mais je préfère rester concentrée sur la dure tâche qui nous attend.
La cheffe de la résistance jeta un oeil vers Aridel. Le souverain d’Omirelhen se trouvait un peu devant, avec Djashim, Daethos et Ayrîa. Imela se demanda à quoi Lanea pouvait penser. Elle savait qu’Aridel et elle avaient beaucoup discuté ces derniers temps. Son amant avait cependant tenu secret la teneur de ces conciliabules. Cela ne présageait rien de bon, mais Imela n’avait pas insisté pour en savaoir plus. Elle préférait elle aussi se concentrer sur le combat à venir.
Lanea avait raison, le siège d’Oeklhin allait être un des plus durs combats de toute leur existence, et l’amirale voulait être prête. Si tout allait bien, Oeklos vivait peut-être ses derniers jours en tant qu’empereur.