Héritage (5)
Par Alexandre Vaughan
Iromel avançait avec circonspection dans la forêt pétrifiée. Il ressentait une certaine tristesse en imaginant que ces arbres avaient autrefois fait partie d’une jungle luxuriante. A présent, l’éruption de L1 les avait transformé en troncs noirs et morts, sans feuilles. A travers leurs branches on ne pouvait apercevoir que l’obscurité et les sombres nuages de l’Hiver Sans Fin.
La forêt était très loin de l’idée qu’Iromel s’était faite du Royaume des Mages. Les contes de son enfance parlaient d’un pays merveilleux où les hommes ne connaissaient ni la maladie ni la faim. Un endroit où tous pouvaient se déplacer instantanément d’un point à un autre. Lorsque le vétéran de l’armée Omireline avait appris où il se rendait, il n’avait pu s’empêcher de ressentir une certaine excitation, comme si le petit garçon en lui s’était réveillé.
Il avait vite déchanté en débarquant à Erûmar.
La ville était sombre, marquée par les affres de la guerre et de la famine. Ses habitants portaient les traces des horreurs et des privations que leur avait fait subir l’empire d’Oeklos. Ils n’avaient rien de mages surpuissants aux pouvoirs dépassant les simples mortels. Ils étaient juste des êtres humains essayant de survivre dans un monde impitoyable.
Paradoxalement, cet état de fait n’avait fait que renforcer la détermination d’Iromel. Il avait foi en la mission qu’il devait accomplir. Le plan qu’il suivait était celui de son souverain légitime, un Dasam d’Erû, choisi par le Créateur lui même pour les mener à la victoire contre Oeklos. Quoiqu’il arrive, son épée était au service de la bonne cause.
Il regarda les hommes qui l’entouraient. Certains étaient très jeunes et venaient de connaître les horreurs du combat pour la première fois. Leur regard portait encore les stigmates de ce terrible baptême. Ils apprendraient à vivre avec, s’ils survivaient. Au combat, l’être humain était capable du pire comme du meilleur, le plus important était de se constituer une carapace pour se protéger. C’était pour cela qu’Iromel avait peu d’amis. Il préférait se tenir à l’écart des autres. Il avait perdu trop d’êtres chers au cours de ses années de violence. L’espérance de vie d’une jeune recrue n’était jamais très grande.
- Allons, continuez, ordonna-t-il en guise d’encouragement. Nous devons avoir rejoint Kidebos avant la tombée de la nuit.
- Oui, sergent, dit Peolen, l’un des hommes les plus proches de lui.
Il était assez chétif et semblait ployer sous le poids de son équipement. Le sac a dos, la lance et l’épée réglementaires étaient lourds après ces longues journées de marche. Mais leur poids n’était rien à coté de ce que devaient supporter les arquebusiers et artilleurs, transportant leurs pesantes bouches à feu.
- C’est quoi ce bruit, sergent ? demanda soudain Esel, un des plus jeunes soldats de la troupe.
Iromel se tourna vers lui. Il n’entendait rien. Il se demanda si Esel n’était pas un peu déshydraté, et commençait à avoir des hallucinations. Il allait lui ordonner de boire lorsqu’il perçut un léger vrombissement. Étrange. Le sergent s’interrompit. Cela semblait provenir du ciel. De l’orage ? Avec ces nuages gris, impossible de le savoir. Iromel leva tout de même les yeux, essayant de déterminer la source de ce qu’il entendait. Difficile de distinguer quoi que ce soit à travers les branches mortes. Le vrombissement se faisait pourtant de plus en plus fort, et les hommes commençaient à s’agiter.
- Sergent ? répéta l’un d’eux d’un ton inquiet.
Iromel aperçut soudain des formes plus sombres qui se découpaient sur les nuages. Il s’agissait de petits points regroupés formant des V menaçant dans le ciel. Iromel réalisa alors ce que cela signifiait.
Des dragons ! Les machines volantes des mages dont il avait beaucoup entendu parler. Mais étaient-ils amis ou ennemis ? Iromel ne tarda pas à avoir la réponse.
Une lumière aveuglante apparut devant lui, suivi moins de deux secondes après par le bruit assourdissant d’une explosion, et un souffle qui faillit presque le projeter à terre. Des cris de peur et de douleur retentirent de la colonne devant lui. Ils étaient bombardés !
Sans attendre les ordres du lieutenant, Iromel cria :
- A couvert ! A couvert ! Tous !
Immédiatement ses hommes tentèrent de se disperser à la recherche de l’abri le plus proche, même si Iromel avait conscience de la futilité de la chose.
Une seconde explosion retentit et cette fois, l’onde de choc fit tomber le sergent. Ses oreilles sonnaient. Il essaya de se relever et de parler. Ou étaient ses hommes ? Ils ne pouvaient pas mourir ainsi ! Où donc était le roi Berin ! Le dasam d’Erû devait les sauver !
Ce fut la dernière pensée d’Iromel. Une bombe vint exploser à moins de deux toises de lui, transformant son corps en un tronc carbonisé similaire aux arbres de la forêt, et terminant sa vie et tous ses espoirs.