Héritage (1)
Par Alexandre Vaughan
Lanea rêvait profondément, visions étranges alternant violences et scènes paisibles. Ces derniers temps, les songes de la jeune femme étaient décousus, comme si une présence étrangère les modifiait contre sa volonté. Elle avait du mal à s’en souvenir à son réveil, mais son sommeil en était souvent affecté. Alors qu’elle basculait dans une phase plus légères, des coups sourds retentirent. On frappait à sa porte.
Lanea ouvrit les yeux en grommelant. Qui donc pouvait tambouriner à ses appartements de si bonne heure ? Une chose était sûre, il ne s’agissait sûrement pas de Taric. Il n’avait même plus la force de se lever à présent.
La tête de Sedûcil apparut. Il était dans un état d’excitation que Lanea ne lui avait jamais vu. Ses propos en devenaient presque incohérents.
- Ça y est ! ça y est ! répétait-il. C’est incroyable ! C’est le moment !
- Calmez-vous, Sedûcil, finit par couper Lanea, sentant l’impatience la gagner. Expliquez-moi ce qui se passe, au lieu de vous mettre dans un état pareil.
Il n’eut pas le temps de répondre. Un grondement de tonnerre fit trembler la chambre. Lanea n’eut aucun mal à reconnaître le son de canons. La batterie côtière ! Impossible ! La cheffe de la résistance de Dafashûn se précipita à la fenêtre.
Au loin, la mer était couverte de points lumineux. Certains d’entre eux semblaient permanents et d’autres brillaient par intermittence. Il n’y avait aucun doute quant à leur nature. C’était une gigantesque flotte qui avait commencé le bombardement d’Erûmar. Il ne s’agissait donc pas de la marine Dûeni, au service de l’empire d’Oeklos. Etait-ce le début d’un débarquement ? Le sang de Lanea ne fit qu’un tour. Ce n’était pas le moment de se poser des questions. Quels que soient les étrangers, il fallait agir pour leur venir en aide et faciliter leur combat. Elle se tourna vers Sedûcil.
- Nos agents sont-ils en place ?
- Tout le monde s’est mis en mouvement, répondit l’homme, reprenant un peu de son calme. La garde d’Oeklos est loin d’avoir trouvé tout ce que nous avons caché. Ils vont avoir de grosses surprises. Les dockers aussi se sont joint à nous. La barbarie des exécutions publiques n’a fait que renforcer leur volonté.
- Parfait, dit Lanea. Nous frapperons dès que nous serons en place. L’heure est venue de passer à l’action, Sedûcil.
Elle sourit en lui posant la main sur l’épaule, mais consciente du danger qui les guettait, ajouta :
- Nous ne pouvons plus revenir en arrière, à présent. Nous sommes loin d’avoir gagné et le risque va devenir plus grand que jamais. Êtes-vous prêt à vous transformer d’espion en soldat ? Nous pourrions tous y laisser la vie.
- Oui je le suis, dit-il gravement. Et si ma mort permet de mettre fin à l’hégémonie d’Oeklos, j’accepte ce sacrifice.
Lanea inclina la tête en signe de respect, et il s’en alla sans un ajouter un mot. Elle s’habilla rapidement puis sortit elle aussi de sa chambre. Après avoir jeté un coup d’œil à Taric qui dormait, elle se dirigea vers l’extérieur. Elle bénissait le jour où elle avait décidé de rester à Erûmar plutôt que de retourner à la forteresse. Elle se retrouvait à présent aux premières loges de ce qui pourrait bien être la première défaite de l’empereur en Dafashûn.
La jeune femme se dirigea vers la colline qui surplombait les quais se situant à l’est de la ville. C’était une position privilégiée que, dans leur bêtise, les troupes d’Oeklos n’avaient que très légèrement fortifiée. Il l’avaient jugée trop escarpée pour y installer une batterie lourde.
Les grondements des canons étaient plus réguliers à présent, mais Lanea était trop loin pour que les boulets représentent un réel risque. Elle rejoignit le pied de la colline où une dizaine de résistants l’attendaient déjà. Il s’agissait pour la plupart d’amateur et non de soldats entrainés, et ils étaient dans un état d’excitation extrême. Cela faisait quatre ans que ses agents attendait ce moment et la plupart n’avaient jamais pensé le voir arriver.
Lanea les salua un par un, consciente qu’elle était devenue leur capitaine. Elle savait que tous ne verraient peut-être pas la victoire, mais ils étaient prêts.
- Allons-y, finit-elle simplement par dire.
Aucune autre parole n’était nécessaire.
Leurs armes étaient rudimentaires en regard de toute la technologie à laquelle les mages avaient jadis eu accès, mais ces épées, haches et lances seraient bien suffisantes face à leurs adversaires. Le sommet de la colline n’était en effet occupé que par quelques Sorcami, des transfuges arrivés récemment dont le moral n’était pas au plus haut.
La surprise joua en faveur de Lanea et de ses hommes. Pris de court, les Sorcami furent réduits au silence sans grande résistance, et sans aucune perte du coté des résistants.
- Envoyez le signal, dit-elle sans attendre.
Un de ses hommes s’empara d’une puissante lampe des mages, sauvée de la destruction, et l’alluma. L’aveuglante lumière bleue qui illumina la colline était visible de l’intégralité de la ville. Lanea ne put s’empêcher de sourire. A présent, les troupes d’Oeklos allaient connaître le prix de leurs exactions. L’heure de la revanche était venue.
Elle ne se fit pas attendre. A peine trente secondes après le lancement du signal une série d’explosions secouèrent les docks et les falaises alentour, illuminant la côte comme un feu d’artifice. Les bombes de la résistance avaient explosé. Les batteries d’artillerie que les troupes d’Oeklos avaient mises en place pour la défense de la ville étaient à présent hors d’état de nuire. Voilà qui devrait laisser le champ libre aux navires. Si Oeklos ne faisait pas usage de son rayon, la victoire était à eux.
- Regardez ! s’exclama alors l’un des agents de Lanea.
Dans le ciel, une nuée de formes noires étaient apparue, se rapprochant de la ville. Il s’approchaient vite et Lanea finit par deviner leur nature. Elle n’en avait jamais vu auparavant, mais elle savait qu’il s’agissait de Raksûlaks, les montures volantes des Sorcami. Les hommes-sauriens avaient donc bien fomenté une rébellion contre l’empire ?
La jeune femme en eut la confirmation rapidement. Les pilotes des Raksûlaks se jetèrent sur les défenseurs d’Erûmar, leurs lances perçant les soldats en uniforme noir et les terrassant comme autant de pantins disloqués. C’était la débandade parmi les troupes d’Oeklos.
Peu de temps après, des canots s’approchèrent, chargés non pas de Sorcami, mais de soldats humains. Lanea n’y comprenait plus rien. Une alliance entre humains et Sorcami ? Que se passait-il donc ? Elle observa avec sa longue vue les nouveaux arrivants. Alors que le canot de tête s’approchait du quai, elle eut la surprise de sa vie. Impossible de ne pas reconnaître le visage et la démarche de l’officier qui les menait.
- Djashim ! s’exclama-t-elle. C’est impossible !