Rébellion (4)
Par Alexandre Vaughan
Shari se passa nerveusement les mains sur le visage. Après le faste de ses appartements de Sorcakin, elle se sentait à l’étroit dans la cabine du Fléau des Mers. Elle appréhendait les voyages en mer, et l’anxiété la rongeait. La plupart des traversées qu’elle avait effectuées jusqu’à maintenant avaient eu, d’une manière ou d’une autre, leur lot de victimes.
La bataille de la Mer d’Omea était encore très présente dans son souvenir. Elle y avait vu pour la première fois l’horreur de la guerre. Cela n’avait cependant été que le début de ses mauvaises expériences en mer. Son séjour à bord du Chayschui saychil, où elle avait été emprisonnée aux milieu d’esclaves traités comme des objets, l’avait marqué pour la vie. Et c’était sans parler de sa traversée de Sûsenbal vers Sorûen, pendant laquelle la flottille dont elle était responsable avait été attaquée par un Toliorka, monstre marin qui avait été responsable de la perte de nombreuses vies. Pour Shari, la mer était un milieu hostile et rempli de dangers.
Pourtant, la jeune diplomate enviait Imela. L’amirale avait vécu dans ce milieu toute sa vie où presque, et à certains moments paraissait tenir plus d’une créature marine que d’un être humain normal. Bien sûr, ce n’était pas le seul motif de jalousie de Shari envers la dirigeante de la flotte. La jeune femme essayait cependant d’ignorer ces sentiments et les rapports qu’elle entretenait avec Aridel. Il avait fait son choix et Shari devrait vivre avec.
La mer était relativement calme, mais le tangage et le roulis rendaient n’importe quelle tâche, même les plus simples, bien plus pénible que sur la terre ferme. Après près de trois semaines en mer, Shari avait encore du mal à s’habiller rapidement. Elle finit par y arriver, et sortit de la cabine pour prendre l’air sur le pont supérieur.
L’armada composée des navires de l’alliance entre Omirelins, Niûsanifais et Sorcami avait à présent passé la limite du Souffle d’Erû, et se trouvait sous les nuages de l’Hiver Sans Fin. Il était difficile de savoir si on était le jour ou la nuit. Le pont du Fléau des Mers était presque plus sombre que l’intérieur des cabines, et seules les voiles semblaient y apporter une touche de clarté.
Un officier Omirelin se trouvait à la barre, et à part lui, quelques matelots assuraient le quart. Elle aperçut également un groupe de Sorcami qui se tenaient à part, probablement des soldats de la garde rapprochée de Daethos.
Sorcami et humains se regardaient toujours avec suspicion, et l’animosité était loin d’avoir disparu de leurs relations. Shari savait qu’il faudrait encore énormément de temps avant que les deux peuples n’apprennent à réellement se connaître. Cette alliance était malgré tout un pas de géant, et ils allaient devoir travailler ensemble s’ils voulaient faire face aux épreuves qui les attendaient.
Au loin, Shari aperçut les lumières des autres navires de la flotte. Elle ne pouvait qu’admirer l’aisance avec laquelle Imela menait son armada dans l’obscurité.
Un visage familier apparut alors. C’était Djashim. Il était sûrement venu flâner avant que le quart ne change et que les bâbordais ne remplacent les tribordais. Shari ne revenait toujours pas de constater à quel point le gamin des rues qu’elle avait connu à Niûsanin avait mûri. C’était un homme, à présent, et un général, qui plus est. Dans sa courte vie, il avait vécu des aventures que bien des hommes plus âgés ne connaitraient jamais. Il s’approcha de Shari.
- Bonjour Shari ! dit-il presque joyeusement. Je vois que je ne suis pas le seul à être matinal.
Shari sourit
- Mes nuits à bords ne sont pas les plus reposantes du monde, avoua-t-elle. Je pense que la vie de marin n’est pas faite pour moi, Djashim.
- Pour être franc, moi non plus je ne suis pas très à l’aise. Tout est bien trop calme. Nous avançons vers notre destination, et je m’inquiète de ce que nous prépare Oeklos.
- C’est un peu mon sentiment. Nous ignorons tout de ce qui nous attend en Dafashûn. Si j’avais su que ma première visite au Royaume des Mages serait en accompagnant une flotte d’invasion…
- Dafashûn n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été, croyez-moi.
- C’est vrai, j’avais oublié que tu fais partie de la résistance des mages. Tu sais probablement bien mieux que moi ce à quoi nous allons faire face.
- Pas vraiment. Tout comme vous, j’ignore ce que va faire Oeklos. Je sais juste qu’il est capable du pire. J’espère que nous pourrons rapidement prendre contact avec Lanea pour coordonner nos efforts. En plus…
Un grondement sourd vint interrompre la conversation. Du tonnerre ? Le bruit ne semblait cependant pas venir des nuages. Shari eut à peine le temps de se poser la question. Djashim se jeta sur elle en criant :
- A terre !
La diplomate toucha brutalement le sol sous le poids du jeune homme. Le navire fut alors secouée par une série de chocs violent. Tout autour d’eux des échardes de bois volèrent, s’éparpillant comme autant de lames mortelles, déchirant le corps des malheureux qui n’avaient pas eu le temps de se mettre à l’abri. Des cris de douleur et d’agonie retentirent et une odeur métallique vint emplir les narines de Shari.
Une fois le choc initial passé, Djashim se releva et se dirigea vers une cloche se trouvant non loin de la barre.
- Branle bas de combat ! cria-t-il. Nous sommes attaqués ! Prévenez immédiatement le capitaine et l’amirale !