Rébellion (2)
Par Alexandre Vaughan
Pour la première fois depuis qu’il avait quitté son peuple de la forêt d’Inokos, Daethos commençait à comprendre la destinée que ses ancêtres lui avaient tracé. Leurs desseins prenaient sens, à présent. Si celui que les hommes et les Sorcami appelaient le créateur, Erû, n’était qu’une machine des Anciens, tout devenait clair. Comme n’importe quel être, il était soumis aux lois de cet univers, et son destin était tracé par les actions de ceux qui l’avaient précédé.
La voie de Daethos était tracée devant lui. Il devait être celui par lequel les humains et les Sorcami se réconcilieraient. Seule leur alliance permettrait de vaincre les mages noirs, comme cela c’était passé en Omirelhen, quinze décennies auparavant. Son amitié avec Aridel serait le symbole de l’unification des deux peuples.
Daethos regarda la flamme tremblotante de la bougie qui illuminait les statuettes des sept pères, projetant des ombres aux formes mouvantes. En tant que Ûesakia, il disposait de sa chapelle privée, où il pouvait se recueillir et méditer dans le calme et la solitude. Les événements récents, la mort d’Itheros, son élection comme Ûesakia, la rébellion avortée de Raksûlos, et l’arrivée d’Aridel, l’avaient durement éprouvé émotionnellement et il avait besoin de se ressourcer.
Il toucha la statuette de Ksûros, le guerrier. Même s’il savait ce qu’il avait à faire, il était conscient des grands sacrifices que cette tâche lui demanderait. Le combat ne faisait que commencer, et les mois à venir risquaient de prélever un lourd tribut en vies humaines et Sorcami. C’était hélas inévitable, à présent. L’empire d’Oeklos était une tumeur au cœur du monde qu’il fallait exciser, et cette opération serait difficile. Daethos mènerait son peuple pour accomplir cette tâche. Avec l’aide des humains d’Omirelhen et de Niûsanif, ils réussiraient.
Le Ûesakia des Sorcami se leva et murmura :
- Puisse mes ancêtres continuer à me donner la force de combattre les ennemis de ce monde.
Il sortit alors de la chapelle, laissant tous les problèmes du jour s’imposer de nouveau à sa conscience. Ils devaient décider de la prochaine étape de leur plan, mais il existait de trop nombreuses inconnues. Où se trouvaient à présent la flotte d’Oeklos et les Sorcami alliés à Raksûlos ? Ils n’étaient plus en Sorcamien, c’était une certitude.
Daethos se dirigea vers les quartiers qui avaient été réservés à Aridel et sa suite. L’armada que le roi d’Omirelhen avait assemblée était très puissante, mais serait-elle suffisante pour vaincre Oeklos ? Daethos avait ordonné la création d’une force expéditionnaire Sorcami, formée de volontaires qui accompagneraient Aridel, où qu’il décide d’aller. Le Ûesakia en prendrait la tête, bien sûr, même si cela n’était pas la tradition. Il ne laisserait pas Aridel se battre seul. Il ne restait qu’une seule chose à connaître : leur destination.
Daethos frappa à la porte des appartements d’Aridel.
- Entrez, répondit la voix familière du roi d’Omirelhen.
Il était penché sur une carte, pensif. A coté de lui se trouvait Imela, visiblement soucieuse et en proie à ses propres réflexions.
- Daethos ! Vous arrivez pile au bon moment. Je suis sûr que vous n’arrivez pas à dormir non plus. Nos retrouvailles n’ont été que trop brèves, mais la tâche qui s’étend devant nous est immense.
- C’est aussi ma pensée, répondit-il sobrement. Mais j’ignore par où commencer.
- Là est toute la question, et nous devons nous décider vite. Si Oeklos parvient à rassembler l’intégralité de ses armées, il a les moyens de nous vaincre. Pour moi, il faut frapper au cœur.
Aridel posa son doigt sur la carte, à l’emplacement de Lanerbal.
- Imela doute encore de ce plan d’action, reprit-il, mais c’est mon intime conviction. Qu’en pensez-vous Daethos ?
Le Ûesakia regarda l’amirale de la flotte. Il savait d’avance quels étaient ses arguments. Il les avait contemplé pendant longtemps lui aussi. Il avait cependant fini par se rendre à l’évidence. Le risque était grand, mais les opportunités plus grandes encore.
- Mon avis rejoint le votre, dit-il. Même si nous ignorons où se trouve la flotte d’Oeklos, le plus probable reste qu’elle ait rejoint Lanerbal. Je pense que c’est derrière les frontières de l’ancien royaume des Mages que la bataille décisive va se jouer. Je ne minimise pas cependant, les risques de cette opération, et les pertes que nous aurons à subir.
Imela inclina la tête en signe d’approbation.
- Nous sommes tous conscient de l’horreur qui nous attend. J’en ai également discuté avec Takhini et Djashim, et ils partagent votre opinion et celle d’Aridel.
- Tout comme Shari, d’ailleurs, reprit le roi d’Omirelhen.
- Il me semble alors, dit Daethos, que nous ne pouvons reculer plus longtemps. Dès que mes forces seront assemblées, nous embarquerons à bord de vos vaisseaux. Et, si les ancêtres le veulent, nous appareillerons pour Lanerbal.
- Ainsi soit-il, approuva Aridel, dont le regard inquiet démentait la voix ferme.