Empire (6)
Par Alexandre Vaughan
Imela, l’œil rivé à la longue-vue, observait le cercle quasi parfait que formaient ses navires dans la baie de Kifiri. Les vaisseaux de ligne au centre, les frégates à l’extérieur, tous s’étaient positionnés comme elle l’avait demandé. Ses bâtiments bloquaient sans équivoque tout accès au port de Sorcakin. Une deuxième ligne de navires se trouvait quant à elle beaucoup plus en arrière. C’était la réserve, qui gardait l’entrée de la baie et protégeait le reste de la flotte d’éventuelles attaques extérieures. Tout était prêt.
Il n’y avait dans le port de Sorcakin aucun navire capable de tenir tête pendant longtemps à l’armada formée des flottes Niûsanifaise et Omireline, mais les défenses côtières étaient probablement capable de leur infliger de gros dégâts. Imela ignorait de quoi pouvait être composée l’artillerie Sorcami, et les petites forteresses qui entouraient la capitale ne présageaient rien de bon. L’amirale observa brièvement la gigantesque pyramide, puis replia sa longue-vue et se tourna vers Aridel.
- La flotte est en place, majesté, annonça-t-elle solennellement.
- Très bien, approuva-t-il. A présent tout ce que nous pouvons faire, c’est attendre la réaction des Sorcami. J’espère que nous n’aurons pas à recourir à la violence pour nous faire entendre. Nos véritables ennemis ne sont pas ici. Si les hommes-sauriens acceptent de nous écouter, nous aurons fait un grand pas vers l’élimination d’Oeklos.
Imela observa le regard pensif de son amant. Elle savait que ses décisions lui pesaient. Il pensait visiblement toujours à Erû et à ceux qui allaient devoir encore périr pour mettre fin à cette guerre.
- Puisses tes souhaits être exaucés, souffla-t-elle dans un murmure.
Imela se devait d’admettre qu’elle n’était pas très optimiste. Les Sorcami étaient un peuple fier, et leurs relations avec les royaumes humains avaient toujours été tendues, même dans leur alliance passée avec Omirelhen. Il y avait fort à parier qu’ils prennent l’arrivée de l’armada comme une tentative d’invasion et réagissent avec violence.
- Capitaine, ordonna-t-elle en se tournant vers son second, informez toutes les escadres et les vice-amiraux de se tenir prêts à faire feu. Mais qu’ils attendent mon ordre ! Pas d’initiative.
- A vos ordres, amiral !
Le temps était radieux et la mer d’un calme plat qui, paradoxalement, inquiétait prodigieusement Imela. Sans brise, ses navires avaient une capacité de mouvement limitée. Et puis, pensa-t-elle soudain, c’était une trop belle journée pour laisser la fumée des canons obscurcir le soleil. Malgré toute la fierté qu’elle avait à diriger cette gigantesque flotte, Imela était lasse de contempler destruction et mort. Elle maudissait Oeklos pour tout ce qu’il la forçait à faire.
- Navire en approche ! cria soudain une vigie.
Instantanément, Imela ressortit sa longue-vue. Effectivement un bâtiment Sorcami, profitant de la marée, sortait de la baie. Il était de la taille d’une frégate, ses voiles amenées. Son pavillon orné d’un serpent indiquant son appartenance à la flotte Sorcami. Il n’arborait cependant aucune orbe noire, un bon signe.
- Laissez-le approcher, ordonna l’amirale. Il ne cherche visiblement pas à forcer notre blocus. Nous allons voir quelles sont ses intentions.
Les canons de la frégate Sorcami étaient rentrés, un autre signe qu’elle ne venait pas combattre. Imela aperçut alors un homme-saurien qui hissait un pavillon blanc à l’arrière.
- Un émissaire, annonça-t-elle.
Aridel sourit.
- L’espoir est permis. Nous allons bientôt savoir si nous allons ou non devoir sortir les armes.
- Signalez à ce navire de s’approcher du Fléau des Mers. Et préparez les passerelles. Je veux tous les officiers en costume d’apparat. Nous recevons un ambassadeur d’une nation étrangère.
Il fallut une trentaine de minutes à la frégate pour rejoindre le vaisseau amiral de l’armada. Des grappins furent jetés afin de solidariser les deux navires, puis la passerelle fut posée, reliant leurs ponts supérieurs.
Imela fit placer une garde d’honneur de soldats Omirelins, au bout de laquelle elle se positionna, aux côtés d’Aridel, de Djashim, d’Ayrîa et de Takhini. Deux Sorcami montèrent à bord. Ils s’agissait sans équivoque de guerriers, et leur posture indiquait qu’ils étaient prêts au combat.
- Gaaarde à vous ! cria Imela.
Ses hommes se mirent en position de salut, leurs lances aussi droites que le grand-mât. Les pointes reflétaient le soleil, comme s’il s’agissait de lampes .
- Mon nom est Galdorûgh, du clan du désert, dit le premier Sorcami dans un dûeni sifflant. Je viens voir si vous êtes disposés à assurer la sécurité à votre bord de notre Ûesakia et de sa conseillère. Acceptez-vous de les recevoir selon les règles de la diplomatie ?
- Je suis Imela Beriladoter, amirale de la flotte combinée du royaume d’Omirelhen et de la république de Niûsanif. En mon nom et en celui des peuples humains, je vous souhaite la bienvenue à bord. Vous êtes venus sous la protection du pavillon blanc, et selon la coutume, nous garantirons votre sécurité et votre vie tant que les pourparlers sont en cours. Vous avez notre parole à tous.
- Votre parole est acceptée, répondit Galdorûgh.
Le Sorcami fit un signe et deux nouveaux arrivants montèrent à bord. Imela réalisa à cet instant que tous leurs espoirs venaient de devenir réalité.
- Daethos ! Shari ! s’exclama-t-elle, oubliant toute cérémonie.
Aridel, sans dire un mot, se précipita vers les nouveaux arrivants, dans une attitude qui semblait l’antithèse de toute cérémonie régalienne. Il s’empara du bras du Sorcami, les larmes aux yeux.
- Daethos, dit il simplement. Je ne pensais plus jamais vous revoir. Je crois que nous allons avoir beaucoup à nous raconter.