Empire (5)
Par Alexandre Vaughan
Shari arpentait les allées de Sorcakin, pensive. Ses promenades le long de la cité-pyramide étaient devenues une routine salutaire pour le mental de la jeune femme. Elle avait besoin de ces moments de calme pour se recentrer et oublier un instant la multitude de problèmes qui l’assaillaient. Loin du tumulte et de la politique de Sorcamien, ses réflexions étaient plus apaisées, libres de toute contrainte. Shari appréciait cette impression de solitude, même si elle était consciente que les gardes chargés de la protéger n’étaient jamais loin.
Ce jour là, elle avait cependant du mal à se concentrer sur ce qui l’entourait. Ses pensées se transformaient en ruminations, et le sort d’Aridel était en première ligne. Depuis que Shari avait appris que celui qu’elle avait accompagné dans le grand Nord était vivant, et qu’il avait déposé sa soeur Delia, elle n’avait qu’une envie : le rejoindre en Omirelhen. Pour en avoir parlé avec Daethos, elle savait d’ailleurs que le Sorcami partageait ce désir. Cependant, la réalité s’imposait au Ûesakia tout comme à Shari.
Tous deux avaient à présent de grandes responsabilités, et un devoir envers les hommes-sauriens qui avait accepté de les suivre. Ils avaient bien trop à faire pour se lancer dans un voyage de plusieurs semaines. La révolte larvée de Raksûlos s’était éteinte depuis son départ, mais son ombre et celle d’Oeklos planaient encore sur la capitale Sorcami. L’inimitié entre hommes-sauriens et humains était bien trop profonde pour disparaitre comme cela en quelques jours. Il restait dans l’assemblée des Lûakseth favorables à la politique d’expansion de l’empereur. Ils se taisaient pour le moment, mais Shari savait qu’ils ruminaient leur revanche. Sans parler du fait que certains étaient peut-être des agents à la solde d’Oeklos ou de Raksûlos. Il était impossible, à l’heure actuelle, de savoir ce que préparait ce dernier.
Tout cela pesait dans la tête de Shari, empêchant parfois la jeune femme de trouver le sommeil. Ce n’était cependant rien en comparaison de ses spéculations sur Aridel. Comment était-il arrivé en Omirelhen ? Avait-il à voir avec ce qui s’était passé en Sorûen ? Et avec quelle armée avait-il réussi à déposer Delia ? Qu’avait-il bien pu lui arriver dans le Grand Nord ? Autant de questions qui brûlaient les lèvres de la jeune femme et dont les réponses étaient hors de portée. Les marches d’Omirelhen étaient en effet fermées aux hommes-sauriens, et il n’était pas dans l’intention de Shari de déclarer une guerre pour satisfaire sa curiosité.
Elle s’arrêta sur une terrasse verdoyante surplombant le port et la baie de Kifiri. Le soleil s’était levé peu de temps auparavant, et ses rayons bienvenus venaient doucement réchauffer la peau de la jeune femme. Non loin d’elle, un couple de Sorcami âgés étaient assis sur un banc de pierre, discutant tranquillement. Il lui jetèrent un regard curieux, puis reprirent leur conversation. La plupart des hommes-sauriens étaient à présent habitués à sa présence et ne lui prêtaient plus guère attention. A moins qu’ils n’aient tous simplement peur des gardes ? Shari avait appris que les soladats du clan de Sorklastûn, les gardiens du Ûesakia, étaient à la fois craints et respectés à Sorcakin.
La mer commençait à briller d’un éclat bleu et blanc, étincelant sous les feux rasants du soleil. Shari prit une grande inspiration, laissant l’air et la chaleur réveiller son corps. Elle oubliait parfois à quelle point elle était privilégiée de contempler l’astre du jour quand la moitié du monde était couverte de nuages. Elle ferma les yeux un instant puis les rouvrit.
Elle repéra à ce moment une multitude de point blancs qui se trouvaient à l’entrée de la baie. Des navires, aucun doute possible. Oeklos était-il revenu ? Le cœur de Shari se mit à battre à tout rompre. La flotte qui se trouvait là était l’une des plus grandes que la jeune femme ait jamais vue. Même l’armada d’Oeklos lors de son attaque de Cersamar n’avait pas compté autant de bateaux.
La jeune femme vit les deux Sorcami se mettre eux aussi debout. Ils fixaient intensément la scène, interloqués. Shari savait que la vision des hommes-sauriens était excellente. Elle se rapprocha d’eux.
- Pardonnez-moi, demanda-t-elle respectueusement. Arrivez-vous à distinguer le pavillon de ces navires ?
- Non, pas encore, répondit la femme-saurien, visiblement inquiète. Elle savait qui était Shari, bien sûr, et demanda : Vous pensez qu’Oeklos est de retour ?
Malgré la crainte de Shari, la jeune femme savait cependant qu’un retour aussi rapide de la flotte impériale était peu probable. Il aurait fallu que ses navires aient des ailes pour pouvoir naviguer aussi rapidement. Elle fit part de ses pensées à la femme-saurien et à son compagnon. A ce moment, le vieil homme-saurien l’interrompit.
- Vous avez peut-être raison, dit-il. Je peux voir le pavillon à présent. C’est… une femme humaine avec un corps de poisson.
Seul une nation avait comme emblème la Sirène, et Shari la connaissait parfaitement. Son inquiétude se transforma instantanément en joie.
- Omirelhen ! s’exclama-t-elle. Elle se tourna vers l’homme-saurien. C’est Omirelhen ! Nous n’avons rien à craindre. Se recomposant, elle s’excusa : Pardonnez-moi, il faut que je rejoigne Daethos au plus vite.
Sans attendre la jeune femme se mit à courir vers le centre de Sorcakin. Un bonheur et une excitation incontrôlables s’emparaient d’elle. Ses rêves devenaient réalité.