Empire (4)
Par Alexandre Vaughan
L’hémicycle du capitole de Niûsanin était exactement tel que s’en souvenait Aridel. C’était comme s’il avait été transporté cinq années auparavant, à l’époque où le malheur ne s’était pas encore abattu sur le monde. A voir l’attitude des sénateurs, d’ailleurs, on constatait que certains d’entre eux n’avaient pas encore, après tout ce temps, pris la mesure de la misère dans laquelle vivaient des milliers de leurs semblables. Une petite partie était d’ailleurs très probablement à la solde d’Oeklos, et se montrait très véhémente.
- Vous voulez que nous rejoignions de nouveau une alliance avec Omirelhen, mais la précédente ne nous a apporté que malheur ! explosa l’un d’entre eux, le front luisant de sueur, sa toge blanche et bleue se balançant selon ses mouvements. Quelle garantie avons nous que les Omirelins ne nous laisserons pas seuls, comme la dernière fois ?
- Tout a fait d’accord avec Ayshîn, ajouta un autre, plus calmement. Nous n’avons aucun intérêt à rejoindre une expédition militaire perdue d’avance. Oeklos dispose de puissantes légions, et il est allié avec les Sorcami. Personne ne peut rien contre son rayon.
Aridel savait qu’il ne couperait probablement pas à faire la démonstration de son armure. Il avait obtenu du magister la permission de prendre avec lui le coffre qui la contenait. Il espérait cependant ne devoir s’exposer qu’en dernier recours, et comptait sur Djashim et Nidjili pour convaincre les sénateurs de manière plus traditionnelle.
- Oeklos est loin d’être invincible, contra Djashim. Son armée est composée d’hommes qui ne sont là, pour la plupart que pour leurs rations de nourriture. Leur moral est bas. Croyez-moi, j’ai été officier de cette armée, et je sais de quoi je parle.
- Vous êtes donc un traître ? C’est ce que vous nous dites ?
Nidjili répondit.
- Je ne vous permettrai pas, Ayshîn, de metre en doute l’honneur de Djashim, ici présent. Il s’est battu pour l’honneur de Niûsanif sur le Tigre Blanc et y a été blessé. Pour ma part, je crois ses paroles. Et j’ajouterai d’ailleurs que la situation d’Oeklos a changé. Il a essuyé une grande défaite en Sorûen, et a perdu le soutien d’Omirelhen, comme en témoigne la présence de leur nouveau roi. Son pouvoir n’est plus si absolu. Le moment est venu de lui montrer que les peuples d’Erûsarden ne sont pas tous à sa botte. En nous alliant avec Omirelhen, nous lui opposerons une puissance formidable !
- Vous plaisantez, magister ! Vous voulez vraiment que nous prêtions main-forte à un royaume instable dont le souverain n’est autre que le dernier rejeton d’un roi faible et malade, tué par sa propre fille ? Cette famille décadente ne dictera pas la politique de notre république !
- Vous semblez oublier, sénateur, que le roi Berin, ici présent, est aussi légitimement empereur de Dûen. Son devoir est de vaincre Oeklos, qui n’est autre qu’un rebelle. L’armée Omireline ira jusqu’à Lanerbal, s’il le faut. Je ne vois pas où se trouve la décadence, ici. Sans parler du fait qu’Erû lui-même guide la main du roi.
- Magister, nous sommes ici entre hommes intelligents. Laissez de coté les contes de bonnes femmes. Vous savez bien que les Dasam ou autres boniments religieux ne sont que des mythes tout juste bon pour la populace. Soyons un peu sérieux !
- Vous allez avoir la démonstration de votre erreur, répondit simplement Nidjili. Je vous en prie, Aridel.
Même si l’intéressé détestait enfiler cette armure, qui lui rappelait à quel point son destin était entre les mains d’Erû, il devait bien admettre qu’elle était bien utile lorsqu’il s’agissait de convaincre ses opposants. Il ouvrit le coffre et posa la main sur le métal bleu et azur. La cuirasse vint le recouvrir instantanément, et la visière familière du casque se superposa à sa vision.
Tous les sénateurs s’étaient tus. Le moment était venu pour Aridel de parler.
- Sénateurs, dit-il, je comprends vos doutes car ils m’assaillent parfois moi aussi. Pourtant cette armure vient bien de Dalhin, et c’est l’arme que m’a fourni Erû pour contrer Oeklos. Il est vrai que je vous demande, à vous et à votre peuple, de faire couler le sang à nouveau, et cela peut paraître une vaine quête. Mais notre liberté à un prix ! Si nous acceptons de le payer, avec ce cadeau d’Erû, la victoire devient possible. La magie de cette armure me donne le contrôle de son rayon. Avec elle, les armées de Sorûen ont obtenu la victoire contre celui qui se prétend empereur. A présent, ce pouvoir est au service d’Omirelhen, et du vôtre, si vous acceptez de vous joindre à nous. Serez-vous des nôtres ?
L’un des sénateurs, qui n’avait pas dit un mot depuis le début de la session, se leva alors.
- Oui ! annonça-t-il. Nous sommes trop longtemps restés en sommeil, laissant Oeklos nous priver petit à petit de ce qui fait notre humanité. J’ai été général avant d’être sénateur, et je ne resterai pas sans rien faire. Vous avez mon soutien. Quelle que soit la décision du sénat, je suis avec vous !
D’autres sénateurs se levèrent, imitant le courageux qui avait parlé.
- Nous vous suivrons aussi !
Dans un mouvement aussi rapide qu’inattendu, les deux tiers de l’hémicycle furent soudainement debout, levant le poing en l’air en signe de défi. Ceux qui étaient restés silencieux se faisaient tout petits, conscients que leur allégeance à Oeklos venait de se retourner contre eux.
Aridel ne put s’empêcher d’esquisser un sourire derrière sa visière. Prochaine destination : Sorcamien…