Empire (3)
Par Alexandre Vaughan
Daethos était envahi par la fatigue. Il vivait dans un état second, et les tâches qu’il avait devant lui semblaient sans fin. La nuit, il avait du mal à trouver le sommeil, son esprit passant en revue les innombrables problèmes qui appelaient une décision de sa part. Même ses techniques et sa discipline mentale de shaman étaient impuissantes à calmer sa nervosité. Comment Itheros avait-il pu supporter cette pression pendant des décennies ?
Une chose le rassurait, cependant, c’était la confiance qu’affichait Shari. Même entourée d’homme-sauriens, la jeune femme semblait dans son élément au milieu des cercles de pouvoir de Sorcakin. Elle agissait avec une vigueur que Daethos lui enviait. Il avait beau être devenu le Ûesakia des Sorcami, il lui semblait être le seul qui n’ayant pas sa place à Sorcakin.
Jusqu’à maintenant, il n’avait d’ailleurs pas vraiment de quoi être fier de son règne. Pour la première fois depuis des décennies, l’assemblée des Lûakseth, et par extension l’intégralité de Sorcamien, étaient divisés. Les Sorcami s’étaient séparés en deux camps, les prémisses de ce qui pourrait peut-être se transformer en guerre civile.
Les partisans de l’alliance avec Oeklos, menés par Raksûlos et Ethros, suivis par un grand nombre d’hommes-sauriens des clans de l’ouest et de la montagne, avaient fait sécession. Nombre d’entre eux avaient embarqués sur les navires d’Oeklos alors qu’ils longeaient les côtes du pays. Même dans les clans plus favorables à Daethos, comme le clan de la mer, certains avaient rejoint leurs rangs.
La femme du Sorkokia Klosthel, Wikhrodir, avait mené une grande partie de son clan vers Oeklos. Daethos avait appris que c’était elle qui avait été à l’origine de l’attaque qu’ils avaient subi sur le chemin de la capitale. Cette trahison lui laissait un gout amer dans la bouche. A qui pouvait-il vraiment se fier ?
Pour le moment, les sécessionnistes ne représentaient pas de danger immédiat, mais Erû seul savait ce qu’ils préparaient. La bonne nouvelle, cependant, était qu’il avait de son coté la majorité de la population des clans de la jungle, et de la plaine, et que leurs Lûakseth détestaient Oeklos. Mais même parmi ces alliés, des dissensions existaient. Ils n’arrivaient pas à s’accorder sur la marche à suivre.
Ce n’était là que le début des problèmes de Daethos. Il savait qu’il allait devoir à un moment ou à un autre se transformer en chef de guerre. Oeklos et ses alliés ne manqueraient pas de riposter, tôt ou tard. Il fallait mettre sur pied une armée capable de les contrer. Était-ce là l’héritage qu’allait laisser Daethos à son peuple ? Un chemin de guerre et de batailles creusé par le sang de ses semblables ? Était-ce vraiment ce que souhaitaient ses ancêtres ?
Certains parmi ses alliés n’étaient pas convaincus et souhaitaient tout simplement revenir à leur vie d’avant et leurs traditions. Daethos était conscient que cette politique ne ferait que transformer Sorcamien en cible facile. Il fallait cependant toute la diplomatie de Shari pour les convaincre de continuer à écouter ce qu’il avait à dire.
Malgré la gravité de ces problèmes, ils ne représentaient que la partie émergée de l’iceberg. Tous les jours, Daethos avait sur son bureau une tonne de papiers, de décisions à prendre, d’actes à signer, de jugements à rendre. Il avait parfois l’impression de sombrer dans la folie, mais sa volonté restait ferme. Il passerait l’épreuve que lui imposaient ses ancêtres…
- Vous allez bien, Daethos ?
C’était Shari, bien sûr. Elle venait d’entrer dans son bureau, faisant preuve de sa discrétion habituelle. Daethos, qui commençait à bien lire les expressions humaines, décela l’inquiétude de la jeune femme. Il tenta de la rassurer.
- Oui, mentit-il. Je suis juste un peu fatigué.
- Vous devriez prendre le temps de vous reposer, dit-elle avec un sourire. L’exercice du pouvoir est une course de fond, pas une pointe de vitesse.
- J’ai hélas bien trop à faire pour pouvoir arrêter, répondit-il avec lassitude.
- Vous avez des personnes autour de vous en qui vous pouvez avoir confiance. Le secret est de leur déléguer une partie de vos tâches. Galdorûgh, par exemple, pourrait très bien s’occuper des problèmes militaires.
Daethos allait répondre mais on frappa à la porte.
- Entrez, soupira-t-il.
Il s’était attendu à voir arriver un Lûakseth avec sa liste de doléances, mais il constata avec surprise que le nouvel arrivant était Galdorûgh. Il était accompagné de Sklirûdoa, le marin qui les avait amené jusqu’à Kifiri.
- Capitaine-Sklirûdoa ! s’exclama Shari. Quelle joie de vous retrouver ici !
- En effet ! ajouta Daethos en esquissant un sourire. J’ignorais que vous naviguiez jusqu’à Sorcakin.
- Ûesakia-Daethos, s’inclina le capitaine. C’est pour moi également un honneur de vous revoir, presque aussi grand que celui de vous avoir eu à mon bord. Je dois cependant avouer que ce n’est pas uniquement pour le plaisir de me trouver en votre présence que je suis ici. Une affaire pressante me conduit à vous.
- Oui, confirma Galdorûgh, lorsque Capitaine-Sklirûdoa m’a expliqué la teneur de son message, j’ai jugé qu’il ne pouvait attendre.
- Vous attisez notre curiosité, l’exhorta Shari, visiblement intéressée.
- Je ne vais pas vous laisser languir, commença Sklirûdoa. Je reviens des côtes d’Omirelhen, et il semblerait qu’une rébellion ait secoué le royaume de la sirène. Si les rumeurs que j’ai entendues sont vraies, la reine Delia a été déposée et a fui.
- Comment ? s’exclamèrent simultanément Shari et Daethos.
- Qui donc a pu s’emparer du pouvoir Omirelin ? le pressa Shari.
- Et bien, toujours d’après le rumeurs, le nouveau roi est le fils légitime de Leotel, un dénommé Berin, ou Aridel.