Empire (2)
Par Alexandre Vaughan
- Niûsanin en vue !
La vigie avait devancé Imela d’une demi-seconde. Les yeux entraînés de la jeune femme avaient déjà reconnu les formes caractéristiques des docks se détachant de la côte dans le soleil de l’après-midi. Elle s’empara de sa longue vue et la dirigea vers le port.
La capitale de Niûsanif débordait d’activité. L’arrivée de la flotte Omireline avait probablement déjà été signalée depuis longtemps. Seuls des gardes-côtes aveugles n’auraient pas repéré le nombre impressionnant de navires qui avançaient dans le sillage du Fléau des Mers. Imela n’avait pas non plus essayé de se cacher des Niûsanifais. Les Omirelins étaient là pour s’allier à eux. Il restait à savoir comment ils prendraient la proposition d’Aridel.
Imela sentit une présence à ses côtés. Djashim l’avait rejoint sur la dunette, et son regard semblait pétiller d’une étincelle qui faisait ressortir son jeune âge.
- De retour au pays, général ? lui dit-elle d’un ton taquin.
- Oui, sourit-il. Et cette fois je vais peut-être pouvoir revoir de vieilles connaissances. Sans parler de l’espoir que représente cette flotte.
Imela ne put s’empêcher d’acquiescer.
- Je comprends, dit-elle. Je ressentirai probablement la même chose en longeant les côtes de Dûen à la tête de ces navires. Le fait d’être l’amiral de cette flotte me donne parfois une impression d’être invincible.
Elle regarda pensivement les bâtiments qui s’étendaient à l’horizon, derrière le Fléau des Mers. Vaisseaux de ligne, frégates, corvettes, même une escadre de la flotte extérieure de l’empire de Dûen semblait petite en comparaison. Imela était devenue amiral. Elle, la gamine des docks de Bretosamar, était à présent l’égale de tous ces nobles qui avaient régi la vie de ses ancêtres sans même leur prêter attention. Elle avait encore parfois du mal à le réaliser, et seul le fait d’être en mer, le vent iodé rafraichissant sa peau, l’ancrait encore dans la réalité.
- Son Altesse Impériale, Berin 1er, roi d’Omirelhen et Empereur de Dûen ! annonça soudainement une voix.
- Je vous ai déjà dit, capitaine, que m’annoncer à chaque fois que je monte sur le pont n’était pas nécessaire, gronda Aridel, sa tête dépassant de l’escalier le menant sur la dunette. Je crois que l’équipage du Fléau des Mers sait très bien qui je suis.
Imela sourit.
- C’est le protocole naval, majesté, dit-elle en se retenant de rire. La marine est très attachée à ses traditions.
- Si vous le dites, amiral. Mais rappelle-toi, ajouta-t-il en s’approchant d’elle et en prenant un ton de confidence, que si j’ai fait du Fléau des Mers mon vaisseau amiral, ce n’est pas pour continuer à m’enfermer dans des traditions dépassées. Je ne suis ni mon père, ni ma sœur.
Imela ne releva pas, se contentant d’observer son amant royal.
- Nous sommes à moins de cinq lieues de Niûsanin, finit-elle par annoncer. Nous devrions être à portée de chaloupe dans moins d’une heure.
- Parfait, dit Aridel. La flotte peut se mettre au mouillage. Je ne veux pas que les Niûsanifais nous voient comme une menace.
- Vous avez entendu le roi, capitaine : signalez à la flotte l’ordre de s’arrêter, ordonna Imela. Seul le Fléau des Mers continuera à avancer. Faites également mettre les chaloupes à la mer. Et demandez au maître d’armes de préparer une escorte d’une trentaine de soldats pour nous accompagner, sa majesté et moi.
- A vos ordres, amiral, salua le capitaine de pavillon.
- Djashim et Ayrîa nous accompagneront, bien sûr, dit Aridel. J’espère que le magister se souviendra de nous. Une diplomate comme Shari n’aurait pas été de trop.
Imela ne put s’empêcher de laisser passer une petite grimace. Ses sentiments envers l’ex-ambassadrice de Sûsenbal étaient toujours teintés d’une pointe de jalousie dont elle n’arrivait pas à se départir.
- Je suis sûr que nous la retrouverons bientôt, dit alors Djashim.
- Puisses-tu dire vrai, Djashim… Puisses-tu dire vrai.
Le quai était couvert de soldats en armure, leur cuirasse arborant le tigre de Niûsanif. Ils avaient un regard sérieux et impassible, et leurs lances projetaient des ombres menaçantes. Un accueil plutôt froid, jugea Imela. Elle laissa les hérauts monter en premier. Ceux-ci annoncèrent en grande pompe les passagers de la chaloupe, qui à leur tour rejoignirent un à un le quai, suivis des gardes Omirelins.
La situation était visiblement tendue. Les Niûsanifais et leurs homologues Omirelins se toisaient du regard sans rien dire.
- Nous souhaitons rejoindre le Capitole et nous adresser au sénat, dit Aridel. Pourriez-vous nous y conduire ? Nous sommes prêts à vous laisser nos armes. Nous n’avons aucune intention belliqueuse.
- Que de précipitation, majesté, dit une voix. Ou devrais-je dire, votre altesse impériale ? Il ne sera pas nécessaire de vous désarmer. Mais n’avez-vous donc pas le temps de saluer une connaissance ?
Imela regarda l’homme qui venait d’apparaître. Il portait une toge blanche, et malgré son grand âge son regard semblait rempli d’une intelligence vivace. Il rappelait à Imela Takhini. Aridel sourit en le reconnaissant.
- Magister Nîdjîli. Quel plaisir de vous revoir !
Le magister, chef de l’exécutif de Niûsanif, rendit le sourire à son homologue.
- De même pour moi, altesse. Vous en avez parcouru du chemin depuis notre dernière rencontre.
Le magister aperçut alors Djashim et s’arrêta net.
- Djashim ! Toi ici ? Ca pour une surprise. Je te croyais perdu à bord du Tigre Blanc.
- Magister, dit le jeune homme en s’inclinant. Nous avons beaucoup à vous raconter.