Embarquement (5)
Par Alexandre Vaughan
Aridel n’aurait jamais imaginé que le poids de la couronne d’Omirelhen puisse être plus lourd à porter que celui de l’armure d’Erû. Pourtant, quelques jours seulement après son couronnement officiel, il croulait déjà sous le nombre d’affaires à régler, et il savait que ses plus lourdes décisions restaient à prendre. Le nouveau souverain ne pouvait plus s’éterniser à Niûrelmar, à régler les affaires courantes de son royaume. Il devait agir, mais quelle direction prendre ?
Aridel avait le devoir d’empêcher Oeklos de reprendre les devants dans la lutte qui les opposait. Il manquait cependant cruellement d’informations sur son adversaire et l’état de ses forces. Quelle était la situation en Sorûen depuis son départ ? Ses anciens alliés avaient-ils continué leur plan de conquête, remplaçant un tyran par un autre ? Et surtout, comment agir envers Sorcamien ? Le domaine des hommes-sauriens, aux portes même d’Omirelhen était officiellement l’allié du Nouvel Empire d’Oeklos, et donc en théorie l’ennemi d’Aridel.
Sorcamien… D’après Imela, c’était là que devaient à présent se trouver Shari, Daethos et Itheros. Même si Aridel avait une grande confiance en la capacité de ses trois anciens compagnons, leur tâche paraissait presque irréalisable. Convaincre les Sorcami de se retourner contre Oeklos ? Cette idée semblait plus relever du conte de fées que de la réalité. Aridel espérait juste que tous trois étaient sain et saufs et qu’il pourrait les retrouver un jour.
Il se prit malgré lui à prier pour eux et s’arrêta net. Qui priait-il réellement ? Erû ? Etait-il vraiment en train de demander de l’aide à cette machine machiavélique ? Et si non, qui d’autre pouvait le guider ? Ses pensées s’assombrissaient.
Le roi d’Omirelhen se leva de son bureau et se dirigea vers la fenêtre, laissant son regard errer sur le panorama de Niûrelmar. De la tour où se trouvaient ses appartements, on apercevait le port où une grande partie de la flotte Omireline était ancrée. Les bâtiments semblaient attendre patiemment, leurs mâts formant une forêt sans feuilles, couvrant un univers de bois et de métal dédié à la guerre sur les océans.
Une idée germa alors dans l’esprit d’Aridel. Une simple association… Sorcamien et la flotte. Cela en devenait presque évident. Pourquoi n’y avait-il pas pensé avant ? Il ouvrit la porte de ses appartements et ordonna au garde de faction :
- Allez me chercher l’amiral Imela Beriladoter !
L’intéressée arriva moins de dix minutes plus tard. La Grande Amirale de la Flotte portait fièrement son nouvel uniforme, comme si elle était née pour ce rôle. Cela ne l’en rendait que plus séduisante, pensa Aridel, momentanément distrait.
- Vous m’avez fait demander, votre majesté ? demanda-t-elle sur un ton très officiel.
Aridel la regarda d’un air incrédule, et voyant le sérieux dans l’expression de la jeune femme, finit par éclater de rire.
- Tu ne vas pas jouer à ça en privé, quand même ? dit-il en fermant la porte. Quels que soient nos rangs respectif, lorsque je t’invite ici, je te considère comme mon égale. Je suis toujours Aridel, ajouta-t-il en l’embrassant.
La jeune femme se mit à rire à son tour.
- Je suis certaine que c’est la première fois dans l’histoire d’Omirelhen qu’un souverain embrasse son Grand Amiral.
- Ah… je ne connais pas assez l’histoire du royaume pour te répondre avec certitude. Peut-être pourrions être surpris, plaisanta-t-il d’un air espiègle. Mais puisque mon grand amiral est là, j’ai une question à lui soumettre…
- Je t’écoute, dit-elle, attentive.
- Je me demandais s’il serait faisable de mobiliser rapidement la flotte pour l’envoyer sur les côtes de Sorcamien, en passant par Niûsanif.
Imela resta silencieuse, pensive. Aridel continua.
- Mon idée est de former une flotte assez puissante pour montrer à Sorcamien qu’une véritable résistance s’est organisée contre Oeklos. Pour cela je veux renouer l’alliance que nous avons passée avec Niûsanif, si nos deux marines s’unissent, nous pourrons peut-être faire naviguer un nombre de navires tel que le monde n’en a plus connu depuis la fin de la Guerre des Sorcami.
- Tu voudrais faire partir l’ensemble de la flotte Omireline ?
- Oui, confirma-t-il. Il faut que nous continuions à mettre la pression sur Oeklos. Et quoi de mieux pour cela que de démontrer notre puissance navale. Cela te parait-il réalisable ?
De nouveau, Imela se mit à réfléchir.
- Oui, finit-elle par dire. La majorité de la flotte est de toute façon ici en Niûrelmar, et en agissant intelligemment, nous pourrions faire en sorte que le reste des navires nous rejoigne en route. Je pense même que nous pourrions être prêts à partir en moins de de deux semaines. Mais tu t’apprêtes à faire un pari risqué, si jamais Oeklos apprend qu’Omirelhen est sans sa flotte…
Elle laissa le reste de la phrase peser en l’air.
- Nous sommes en guerre, et il est temps pour nous de passer à l’offensive, répondit Aridel d’un ton ferme. Comment est le moral de nos marins ?
- Ton couronnement a suscité une vague d’espoir, mais tu le sais déjà. Et tu as probablement raison, si nous voulons agir, c’est maintenant.
- Oui… dit Aridel, une sombre pensée lui venant à l’esprit. Comment être certain que ma décision ne fait pas partie du plan d’Erû ? J’ai en permanence l’impression de me faire manipuler.
- Cela a-t-il vraiment de l’importance ? Même si c’est Erû qui a tracé ton destin, cela n’enlève rien à la justesse de tes actions. Si nous parvenons à vaincre Oeklos, ça en vaut la peine !
Le ton passionné de la jeune femme fit sourire Aridel malgré lui. Sa conscience le rappela vite à l’ordre.
- Je ne sais pas si je suis prêt à avoir un nouveau bain de sang sur les bras.
- Tu anticipes un avenir dont tu ne sais rien, alors que ta décision est déjà prise. Arrête de te poser des questions, et fais-toi confiance. Nous vaincrons, une bataille à la fois. Je vais te simplifier la vie.
Imela se leva et se mit au garde à vous, la main sur la poitrine.
- Quels sont vos ordres, majesté ?
Aridel sourit de nouveau, et ordonna d’une voix plus affirmée.
- Que la flotte se prépare à partir pour Niûsanif, amiral !