Embarquement (3)
Par Alexandre Vaughan
La robe d’apparat que portait Ayrîa était extrêmement inconfortable. A croire que les Omirelins avaient rendu ces vêtements trop serrés à dessein. La jeune femme aurait donné beaucoup pour assister à la cérémonie dans ses vêtements Sorûeni, bien plus agréables à porter.
Pourtant, elle savait qu’il lui faudrait faire un effort, au moins pour cette journée exceptionnel. Un couronnement était une cérémonie auquel bien peu avaient la chance d’assister dans leur vie, et malgré leur apparence de modernité, les Omirelins semblaient très attachés à leurs traditions. Ayrîa se souvenait encore de la réaction des conseillers d’Aridel lorsqu’il avait proposé que le sacrement se déroule à Niûrelmar. Plusieurs avaient voulu s’y apposer, arguant que seule Niûrelhin était capable d’accueillir un événement de cette importance. Même Omasen avait montré quelques réticences envers cette décision.
Aridel avait cependant su s’imposer, en rappelant à ses sujets que sur ces questions au moins, il était le seul à décider. Ayrîa n’avait pu s’empêcher de remarquer le changement qui s’était opéré sur l’ex-mercenaire devenu Dasam d’Erû. Il était plus assuré, plus maître de ses décisions. C’était comme si il avait enfin accepté le destin qui était le sien, depuis qu’il était revenu en Omirelhen. La présence d’Imela n’était probablement pas étrangère à cela, d’ailleurs.
La relation qu’Aridel entretenait avec elle n’était un secret pour personne, mais nul n’en faisait mention en leur présence. Pour avoir vécu à la cour d’un comte, Ayrîa savait que tout ceci n’était qu’apparence. Le statut d’un femme roturière au milieu de ces prétendus nobles était très souvent précaire, et lié à son ou ses bienfaiteurs… Ayrîa ne s’en faisait cependant pas trop pour Imela, la capitaine n’était pas femme à se laisser intimider.
Ayrîa tourna ses pensées vers le présent. La grande salle d’audience était à présent pleine. Courtisans et militaires avaient revêtu leurs plus beaux atours, comme Ayrîa et Djashim. Le compagnon de la jeune femme portait pour l’occasion un uniforme de général de l’armée Omireline, grade qu’Aridel lui avait conféré à titre honorifique. Il était assis auprès d’elle, lui aussi perdu dans ses pensées. Ayrîa s’apprêta à lui dire un mot, mais elle fut arrêtée net par le tintement clair de trompettes.
Tous dans la salle se levèrent comme s’ils n’étaient qu’un. Peu de temps après, les gigantesques portes de la salle d’audience s’ouvrirent tandis que les trompettes retentissaient de nouveau.
Aridel, vêtu de son armure d’or et d’azur, la tête nue, s’avança majestueusement sur le tapis rouge situé au centre de la salle. Sur ses épaules était posée une robe d’hermine pourpre et bordée de blanc. Derrière lui se tenait un prêtre d’Erû brandissant la couronne royale. Cette dernière avait la forme d’une sirène tout en or, enroulée de manière à ce que son torse repose sur ses nageoires caudales. Derrière le prêtre un autre homme portait un coussin sur lequel était posé un sceptre à la tête d’aigle.
Aridel s’arrêta au pied de l’escalier menant au trône. Le prêtre se plaça à ses cotés, tenant la couronne au dessus de sa tête. Après un long moment de silence, ils se mit à parler dans un Dûeni très solennel.
- Peuple d’Omirelhen. Nous sommes réunis ici pour consacrer le règne de notre nouveau roi. Jamais le choix d’Erû n’a été aussi clair. A mes cotés se trouve Berin Leotelsûn, Gardien d’Erûsarden, Dasam d’Erû, visiteur de Dalhin. Nul n’a autant mérité la couronne du Royaume d’Omirelhen. Au nom du tout-puissant, je vous présente donc votre nouveau souverain, Aridel 1er, roi d’Omirelhen, seigneur de Mastel, défenseur de la foi.
Le prêtre plaça alors lentement la couronne sur le crâne d’Aridel et se retira en s’agenouillant. Tous dans la salle l’imitèrent. Un héraut cria alors :
- Longue vie au roi !
Tous répétèrent.
- Longue vie au roi !
Aridel fit signe à ses nouveaux sujets de se relever et ceux-ci applaudirent. Le nouveau roi leva alors les bras, intimant le silence à l’assemblée.
- Merci à vous tous, Omirelins et alliés, dit-il. Je sais que cette cérémonie ne se déroule pas dans les meilleures conditions mais les circonstances sont graves. Notre monde affronte une époque exceptionnellement dangereuse pour tous, qu’ils soient humains, nains ou même Sorcami. C’est pour cette raison que je tiens à faire de cette cérémonie et de mon futur règne un symbole d’espoir ! Tous les hommes et les femmes qui souhaitent s’opposer à la volonté d’Oeklos ont besoin de s’unir et de rassembler leurs forces, qu’ils soient sujets d’Omirelhen, ou réfugiés venant d’autres pays. L’homme qui se prétend actuellement empereur de Dûen n’est qu’un imposteur qui détient illégalement un titre qui ne lui revient aucunement. Il est temps de lui montrer son erreur.
Aridel laissa planer une pause pour que l’assemblée intègre bien ses propos, puis reprit.
- Ma première décision en tant que souverain d’Omirelhen est donc la suivante. En vertu de l’article XIII.4 de la Constitution d’Août, j’ai décidé de réintégrer le Royaume d’Omirelhen dans l’Empire de Dûen. Cette décision peut être prise unilatéralement par le souverain de n’importe laquelle des anciennes colonies impériale.
Un nouveau silence. Beaucoup étaient au courant de cette annonce, mais Imela détecta la surprise dans les yeux de certains membres de l’assemblée. Tous gardèrent la bouche close, cependant, attendant la suite.
- Cet acte, reprit Aridel, fait de notre pays le seul duché impérial non soumis à la loi d’Oeklos. A ce titre, je suis donc le seul duc de Dûen disposant encore de son libre arbitre. De par la constitution impériale, le choix du nouvel empereur me revient légalement. J’ai donc décidé d’accepter de porter, au moins temporairement, ce titre suprême, afin que la volonté d’Erû soit accomplie.
L’homme portant le sceptre s’approcha d’Aridel qui prit l’objet dans sa main et le leva au ciel. Le prêtre cria :
- Longue vie à l’empereur !
- Longue vie à l’empereur ! répéta l’audience d’une seule voix.
Aridel leva de nouveau les bras et se remit à parler une fois le silence fait.
- L’une des plus grandes responsabilités de l’empereur de Dûen est le commandement de la flotte impériale. Une force navale puissante nous sera plus que nécessaire dans les temps à venir. Pour m’aider dans cette tâche, je nomme Imela Beriladoter, capitaine du vaisseau Le Fléau des Mers, Grand Amiral de la Flotte. Approchez, capitaine !
Imela, vêtue de son plus bel uniforme, avança lentement le long de l’allée centrale pour rejoindre Aridel. Sans dire un mot, le roi retira la veste de la future amirale pour lui en donner une autre dont les épaulettes arboraient une ancre surmontée d’une couronne. Imela s’agenouilla en signe d’acceptation.
- Levez-vous, amiral, dit alors Aridel, et puissiez-vous porter la puissance de l’Empire sur les sept mers.
La jeune femme se retourna alors pour faire face à l’audience, comme Aridel. Son regard était fier, et Ayrîa crut distinguer une pointe d’humidité dans ses yeux.
- A présent, reprit Aridel, le reste de la journée est à vous, peuple d’Omirelhen ! L’espoir est de retour !