Assemblée (4)
Par Alexandre Vaughan
Oeklos, empereur d’Erûsarden, essayait en vain de ne pas se laisser envahir par la frustration. C’était une tâche impossible. Les revers de fortune s’enchaînaient à un rythme de plus en plus rapide, et chaque jour apportait son lot de mauvaises nouvelles.
Après la défaite des troupes impériales en Sorûen, c’était au tour d’Omirelhen d’échapper à son contrôle. La seule bonne nouvelle dans tout cela était qu’Oeklos savait maintenant qui était son réel adversaire. Aridel, ou Berin de son vrai nom, était tout comme Delia, le descendant du roi Leotel Ier d’Omirelhen. C’était ce maudit souverain qui, dans sa jeunesse, avait assassiné le mentor d’Oeklos, quinze décennies auparavant. Fallait-il y voir une simple coïncidence, ou la main d’Erû ?
L’empereur se tourna vers Delia. L’ex-reine d’Omirelhen avait un visage fermé et dur, mais Oeklos voyait parfaitement au travers de ce masque. Derrière cette apparence se cachait la peur et l’incertitude face à son sort. Parfait, pensa l’empereur, c’était le meilleur moyen de contrôler quelqu’un.
- Votre tâche était pourtant simple, dit-il d’un ton glacial, ses mots comme autant de couteaux. Tout ce que vous aviez à faire était de conserver le trône que nous vous avions aidé à obtenir. Non seulement vous avez échoué, mais en plus vous nous avez menti au sujet de la mort de votre frère. Et vous osez vous présenter devant moi ? Je devrais vous faire exécuter sur le champ !
Délia déglutit, sa pomme d’Adam devenant plus proéminente. Elle inclina légèrement la tête, évitant de croiser le regard de l’empereur.
- Pour ma défense, votre altesse impériale, Aridel ne représentait pas pour moi un très grand danger. C’est un raté qui a renié notre famille pour quitter Omirelhen dans sa jeunesse. Il ne connait rien à la réalité de la politique de notre pays. Je suis sûr que nous n’aurons aucun mal à …
- Cessez de me mentir et de tenter d’adoucir la situation ! tonna Oeklos. Vos excuses n’ont aucun intérêt. Tout ce que je veux savoir est comment Aridel a réussi à obtenir le pouvoir sans que vous lui opposiez aucune résistance. Vous saviez parfaitement que l’utilisation du téléporteur que je vous ai confié était réservée à des cas extrêmes. C’était un ultime recours dont vous avez abusé trop tôt.
Delia releva la tête, une lueur de défi dans les yeux, sa peur légèrement atténuée.
- Berin est mon aîné, et la vérité est qu’il a le droit de revendiquer le trône. Malgré cela, mes soutiens au sein du conseil étaient normalement assurés. Mon idée était de le faire passer pour un usurpateur et un incapable auprès du peuple. Ce plan aurait pu fonctionner s’il ne s’était pas présenté comme un envoyé d’Erû, un \emph{Gardien d’Erûsarden}. Il a joué sur la crédulité de notre peuple, et une ancienne prophétie qui prétend que notre famille sera le dernier espoir du monde dans les ténèbres. Avec son armure qui a visiblement été manufacturée par les mages, cette fable est devenue très crédible pour les Omirelins les moins éduqués. Mes propres soldats ont commencé à douter : si Erû lui même avait désigné Berin, leur serment envers moi était caduque. Que pouvais-je faire d’autre que fuir ?
Oeklos ne répondit pas. Il réalisait que les paroles de Delia n’étaient que l’expression de la vérité. De toute évidence, Aridel avait rencontré Erû, tout comme l’empereur, plusieurs décennies auparavant. Pourquoi l’entité qui avait entre ses mains le destin du monde depuis des siècles avait-elle décidé de venir en aide à un incapable ? Et si la prophétie dont parlait Delia faisait partie de son plan ?
Erû avait affirmé à l’empereur que ses rêves de conquête représentaient l’avenir d’Erûsarden, lui affirmant son soutien. L’entité lui avait alors donné le contrôle des satellites d’assaut de l’ancien empire de Blûnen, sans parler du système qui lui avait permis de faire entrer L1 en éruption. Pourquoi, après une telle preuve de confiance, aider un homme qui se révélait être son plus féroce adversaire ?
Si seulement Oeklos avait pu retourner à Dalhin pour discuter de nouveau avec Erû… C’était cependant hors de question. L’entité lui avait indiqué sans ambiguïté que toute tentative de reprendre contact avec elle était interdite.
- Je vais réfléchir à la manière de régler le problème Omirelin, finit par dire Oeklos, se rendant compte qu’il était resté une ou deux minutes sans parler. En attendant, vous resterez dans vos quartiers de la forteresse. Je statuerai sur votre sort plus tard.
L’empereur fit signe aux deux gardes qui se trouvaient à l’entrée de la salle du trône. Ceux-ci entourèrent Delia qui les suivit sans protester. Alors qu’ils s’en allaient Oeklos ajouta :
- Qu’on aille me chercher le premier ministre.
***
Walron arriva moins de cinq minutes plus tard, le souffle haletant. Son aspect semblait toujours aussi repoussant, mais ses yeux étaient cernés et il avait un petit tic des lèvres.
- Où en sont les préparatifs pour Sorûen ? demanda Oeklos sans préambule.
- La flotte intérieure fait voile vers Sorcamien et devrait arriver sous peu à Sorcakin, votre altesse impériale, répondit le premier ministre. Mais il y a un léger contretemps.
- Quoi encore ? grogna Oeklos.
- La mobilisation des armées Sorcami n’a toujours pas été votée par les Lûakseth.
- Comment ! explosa l’empereur. Que fait-donc le Ûesakia ? Lui avez-vous bien fait comprendre les conséquences potentielles de son inaction ?
- Bien sûr, votre altesse impériale, mais la politique de Sorcamien est très complexe. Le Ûesakia ne dispose pas du pouvoir absolu, vous le savez comme moi. Des voix dénigrant nos actions commencent à se faire entendre à l’assemblée. Raksûlos doit faire preuve de bien plus de diplomatie et user de manœuvres politiques. D’ailleurs certaines rumeurs parlent du retour d’Itheros, et …
- Vous plaisantez ? D’abord cet Aridel en Omirelhen, et maintenant Itheros ? Je ne laisserai pas l’empire se morceler à cause de quelques faibles insectes ! Vous avez carte blanche pour débloquer la situation en Sorcamien, Walron. Dites au Ûesakia que s’il ne nous donne pas satisfaction, je m’occuperai personnellement de lui.
- A vos ordres, votre altesse impériale, répondit Walron en s’inclinant.
- Laissez moi en paix, à présent.
Le premier ministre s’en alla, laissant Oeklos seul face à ses pensées. Elles étaient sombres. Plus il réfléchissait plus il devait admettre que tous les récents événements semblaient faire partie d’un plan. Et l’objectif était visiblement la chute de l’empire qu’il avait construit. Etait-ce le fait de cet Aridel, ou Erû l’avait-il désavoué ?