Assemblée (3)
Par Alexandre Vaughan
Aridel se réveilla en sursaut, le front couvert de sueur. Les détails de son rêve disparaissaient petit à petit de sa mémoire, mais les émotions l’envahissaient encore. L’adrénaline du combat, la peur mêlée à l’excitation, le tristesse, il n’y avait aucun doute. Il avait encore eu dans son sommeil des visions de violence et de sang. C’était ainsi que se déroulaient la plupart de ses nuits depuis qu’il avait endossé l’armure d’Erû.
Le roi d’Omirelhen se leva et, soulevant le battant de sa tente, partit observer le ciel noir, en prenant bien soin de ne pas réveiller Imela. Ses pensées le ramenèrent à la capitaine du \emph{Fléau des Mers}, qui dormait d’un sommeil profond, épuisée par les éprouvantes semaines de siège qu’elle avait vécu.
Aridel se remémora leurs retrouvailles avec un léger sourire. Cela avait été un instant d’intense émotion pour les deux amants. Ils n’avaient attendu qu’une chose : se retrouver seuls avec un peu d’intimité afin de rattraper le temps perdu. Imela s’était endormie peu après et Aridel l’avait imitée, mais ses cauchemars avaient fini par le rattraper. Il ne pouvait s’empêcher de réfléchir à l’avenir qui l’attendait, oscillant entre sombres visions et lueur d’espoir.
Aridel serait bientôt officiellement couronné, devenant le onzième roi d’Omirelhen, et il savait qu’il serait difficile d’obtenir une place pour Imela à la cour. Elle était une étrangère sans titre de noblesse et Aridel ne pouvait se permettre de se mettre à dos les pairs du royaume. Certains d’entre eux avaient soutenu le règne de Delia, et n’accepteraient pas si facilement l’arrivée d’un nouveau roi.
Si seulement sa vie sentimentale était son seul problème ! La tâche que lui avait confiée Erû était loin d’être accomplie, et il savait que l’entité ne lui laisserait pas trouver la paix tant que ce ne serait pas chose faite. Malgré le mépris qu’il portait à cette machine, Aridel avait pleinement conscience qu’il était de son devoir de mettre fin aux agissements d’Oeklos. Il fallait donc qu’il détermine la prochaine étape de son plan.
Le roi d’Omirelhen sentit à ce moment qu’on lui effleurait l’épaule. Il se retourna lentement pour se retrouver en face d’Imela. La jeune femme avait encore l’air très fatiguée, mais elle l’observait intensément.
- Imela, tu devrais rester couchée, dit-il. Tu as à peine dormi. Il faut laisser à tes blessures le temps de guérir.
Elle lui jeta un regard noir.
- Depuis quand te pends-tu pour un médecin ? Je suis capable de gérer mon sommeil toute seule. Toi par contre, tu as l’air préoccupé, majesté.
Aridel sourit malgré lui.
- Ce n’est pas très difficile à deviner. Même si je suis très heureux de te retrouver saine et sauve, j’ai du mal à oublier le gâchis de vies humaines qu’a été ce siège. A quelques jours près, je ne te revoyais plus.
- Oui… dit-elle tristement. La perte de Demis a été terrible pour moi. Mais nous sommes en guerre, et ce genre de situation est parfois inévitable. Je peux me consoler en me disant que nos actions t’ont permis de t’emparer de Niûrelhin sans avoir à combattre, puisque les troupes de Delia étaient sur le chemin de Maristel. Et maintenant que tu es roi, les choses vont changer.
- Roi… C’est juste un titre ! Tout ace que j’ai accompli été calculé, planifié par Erû ! A l’en croire, nous ne sommes que de simples pantins entre ses mains…
Aridel, Imela et Takhini avaient passé un long moment à se raconter leurs histoires respectives, depuis qu’ils avaient passé les portes de Dalhin, dans le grand Nord. Le roi d’Omirelhen savait que son amante ne partageait pas son opinion d’Erû, mais elle la respectait.
- Même si tu es, comme tu dis, un pantin, tes choix t’appartiennent, et sont liés à la personne que tu es. Erû ne t’aurait pas désigné comme Gardien sinon.
Aridel ricana.
- Gardien d’Erûsarden… Encore un terme bien pompeux pour pas grand chose. Je ne le mérite pas vraiment, mais je suis bien obligé de l’assumer. Ce qui m’amène à la question qui me hante : que suis-je censé faire, a présent ? Oeklos est toujours très puissant malgré ses récentes défaites. Et avec l’appui des Sorcami il reste presque invincible. Comme tu le sais je ne peux pas déclarer la guerre à Sorcamien, ce serait un suicide pur et simple.
- Et très probablement inutile, surtout si Shari, Daethos et Itheros parviennent à leurs fins.
Aridel se mit à penser à leurs anciens compagnons de voyage, qui devaient à présent avoir rejoint le domaine des Sorcami. Il espérait que rien de néfaste ne se soit mis en travers de leur route.
- Je pense, reprit Imela, que le plus logique pour toi est de chercher à unifier tous les mouvements de rébellion qui commencent à apparaitre au grand jour. Sorûen, Dafashûn, Omirelhen… Tous devraient se rassembler sous une seule bannière pour contrer Oeklos. Et le symbole tout trouvé sur cette bannière, c’est toi, le Dasam d’Erû !
Aridel rit sans conviction.
- Arrête de te moquer de moi. Je suis autant un Dasam que tu es une sirène. Oeklos a officiellement le titre d’empereur de Dûen, le successeur de l’empire de Blûnen. Légalement parlant, je ne peux le contrer.
Le visage d’Imela s’éclaira soudainement, visiblement traversé par une idée.
- A quoi penses-tu ? demanda Aridel.
- Simplement que si c’est ça qui t’embête, tu n’as qu’à réintégrer Omirelhen dans l’empire de Dûen, et te proclamer empereur, annonça-t-elle avec un sourire espiègle.
Aridel la regarda d’un air incrédule.
- Il va vraiment falloir que tu te reposes, tu commences à raconter…
Il dut s’interrompre, car les lèvres de la jeune femme vinrent se coller aux siennes, et soudainement la géopolitique disparut de ses pensées.