Assemblée (2)
Par Alexandre Vaughan
Daethos avait l’impression d’être un étranger parmi les siens. Autour de lui les hommes-sauriens, les bâtiments, le mobilier, semblaient à la fois familiers et distants. Sorcakin avait une double dimension, comme un mythe devenant réalité sous ses yeux. Il avait du mal à concevoir qu’il était à présent devant la porte menant à l’assemblée des Lûakseth. Là débattaient les Sorcami qui décidaient des lois gouvernant son peuple, et leur simple existence lui paraissait presque irréelle. Pourtant il était bien là, à coté d’Itheros, de Galdorûgh, et de Shari.
L’entrée de l’assemblée était gardée, bien sûr, mais Galdorûgh leur avait assuré que cela ne poserait pas de problème. Le Sorkokia du clan du désert et plusieurs des Lûakseth lui avaient fourni un sauf conduit officiel qui lui donnait accès à l’assemblée.
Les gardes restèrent un long moment à vérifier le document, observant l’imposant sceau et la signature sous toutes les coutures. Ils avaient reconnu Itheros, bien sûr, et la présence de Shari était plus que suspicieuse. Cependant, les membres du clan de Sorklastun faisaient passer leur devoir et leur intégrité avant tout. Leur officier finit par demander.
- Ce document vous autorise, vous et votre entourage, à entrer, mais les humains ne sont normalement pas autorisés a pénétrer dans l’assemblée, sauf cas exceptionnel, dit le garde. Comment justifiez-vous la présence de cette femme ?
- Ambassadrice-Shas’ri’a est un témoin crucial dans une affaire de la plus haute importance, répondit Galdorûgh. Elle est sous ma responsabilité. Souhaitez-vous vraiment vous mettre en travers des affaires de l’assemblée ?
Le garde regarda Galdorûgh d’un air peu convaincu, et attendit un long moment avant de répondre.
- Je ne peux légalement vous empêcher d’entrer, finit-il par dire. Allez-y, mais sachez qu’au moindre problème, je ne montrerai aucune pitié ni hésitation.
C’est sur cette phrase peu accueillante que les quatre compagnons pénétrèrent dans le saint des saints du domaine des Sorcami. Une fois à l’intérieur, Itheros prit les devants. Il connaissait parfaitement le bâtiment, y ayant travaillé pendant des décennies. Il guida les deux Sorcami et l’humaine le long d’un couloir courbé. Au dessus d’eux s’élevait le murmure de voix étouffées. Ils étaient très probablement en dessous de la salle centrale.
Ils arrivèrent devant une porte arborant le même sceau que sur le document de Galdorûgh. Les battants de métal, fermés bien sûr, étaient très simples, mais pour Daethos, ils étaient presque aussi majestueux que les portes de Dalhin. Daethos se tourna vers eux.
- A partir de maintenant, ordonna-t-il d’un ton ferme, je vous demande de me laisser parler, et de ne faire entendre votre voix que lorsque que vous y êtes invités. Nos vies et l’avenir de Sorcamien vont se jouer dans cette salle.
Tous acquiescèrent, conscients que seul Itheros savait ce qui les attendait. Sans ajouter un mot, le Sorcami poussa la porte et entra dans l’assemblée, suivi par ses compagnons.
La salle était immense, un hémicycle dont les dimensions étaient telles qu’il pouvait facilement abriter un millier d’hommes-sauriens. Sur les rangées de sièges organisées en escalier étaient assis un grand nombre de Sorcami. Ils étaient tous vêtus de la robe blanche des Lûakseth une bande colorée représentant leur clan d’appartenance.
Les nouveaux arrivants étaient entrés à l’un des bouts de l’hémicycle. Au centre, devant eux, se trouvait un piédestal sur lequel était posé un siège en pierre. C’était là que se tenait normalement le Ûesakia qui était visiblement absent pour cette session.
- Quelle est cette intrusion ? tonna une voix au dessus de Daethos. L’assemblée est en session et ne doit pas être interrompue.
Itheros se rapprocha du centre, et levant la tête, dit d’une voix forte :
- Vous me reconnaissez sûrement Ethros. Je suis dos-Itheros, et j’ai pendant longtemps siégé parmi cette honorable assemblée, y occupant même la position suprême. En tant qu’ancien Ûesakia, et accusé de crimes pour lesquels je n’ai pu me défendre, la loi m’autorise à m’adresser aux Lûakseth.
Cette phrase fut comme un coup de tonnerre. Le nom d’Itheros fit sombrer les Lûakseth dans un chaos total. Daethos s’était imaginé se retrouver en présence des représentants les plus dignes de son peuple, mais il assistait à présent presque à un pugilat d’enfants.
- Traître ! criait un Lûakseth. Faites le sortir et exécutez-le pour haute-trahison.
- Oui ! Il a osé amener une humaine ! Une humaine ! Dans cette illustre assemblée !
- Laissez le parler ! Notre devoir est d’écouter ce qu’il a à dire.
- Ses paroles ne seront que du poison. C’est un ennemi de notre peuple, à la solde des humains !
Itheros observait cette joute verbale avec un sourire amusé. Il finit par lever les mains et parla d’un ton de commandement que Daethos n’avait jamais entendu lors de ses conversations avec le vieux Sorcami.
- Silence !
Prise de surprises, l’assemblée se tut, abasourdie.
- Même si votre Ûesakia n’est pas présent pour rendre son jugement final, je vous demande à vous, mes pairs, de m’écouter et de me juger sur les faits. Nous n’avons plus de temps à perdre en vaines querelles. Notre pays et l’ensemble de ce monde sont en grand danger, et c’est en partie de notre faute. Ce n’est qu’en travaillant ensemble que nous parviendrons à…
Itheros s’interrompit brutalement, à la grande surprise de Daethos. Celui-ci se rapprocha pour comprendre la cause de ce soudain arrêt. Il vit alors une tache rouge qui couvrait la poitrine de son aîné, entourant le manche d’un poignard qui lui était rentré dans le cœur.