Assemblée (1)
Par Alexandre Vaughan
Imela était au bord de l’épuisement. Elle savait qu’il lui serait impossible de tenir encore une semaine de ce siège interminable. Tout comme ses hommes, la fatigue, le manque de nourriture, le pilonnage constant, l’avaient transformée en une créature dont l’humanité avait disparu. Elle ne ressentait plus aucune émotion, il ne lui restait plus que le vide. Etait-elle devenue une ombre, un spectre, condamnée à se battre pour l’éternité dans cette forteresse maudite ? Il fallait pourtant qu’elle continue, ne serait-ce que par respect envers tous ceux qui avaient perdu la vie en la suivant. Elle était l’officier supérieur de cette “rébellion” et son devoir était de montrer l’exemple. Pourtant il devenait de plus en plus difficile de faire illusion face à ce combat sans espoir.
La capitaine du Fléau des Mers s’assit sur une pierre au bord des remparts. C’était l’aube, une heure un peu plus calme où les Omirelins recevaient leurs ravitaillement en munitions. En conséquence les tirs d’artillerie étaient moins fréquents, et Imela arrivait presque à entendre ses pensées. Après sept semaines de siège, la jeune femme avait appris à apprécier ces instants de paix relative, les seuls où elle pouvait laisser son esprit trouver un vague repos.
Son regard était fixé sur l’horizon, sans but. Elle était dans un état de semi-assoupissement, mais après un moment, elle se rendit compte que quelque chose clochait. Au loin une des collines semblait bouger, comme si quelque géant de légende avait décidé de la déplacer pour ses propres desseins.
Il lui fallut un long moment pour réaliser qu’il s’agissait en fait d’une troupe en formation qui avançait vers le fort. Instantanément, l’adrénaline vint envahir son corps, et elle se leva d’un bond, s’emparant de sa longue-vue. Elle dirigea l’appareil vers la colline, confirmant ses appréhensions. C’étaient bien des cavaliers se déplaçant a grande vitesse. Leur bannière était celle de la Sirène… Des Omirelins, bien sûr.
Imela sentit une vague de désespoir l’envahir. C’était fini. Ses adversaires avaient probablement décidé que le fruit était mûr, et qu’il ne restait plus qu’à le cueillir. Ces troupes étaient le coup de grâce qui leur permettrait de reprendre le fort. Il ne restait plus à présent qu’une seule décision à prendre.
Soit Imela se rendait en espérant que Delia saurait se montrer clémente envers ses hommes, soit elle continuait le combat jusqu’au bout, sans aucun espoir de victoire. Pouvait-elle vraiment prendre seule cette décision ? Elle se dirigea vers le bureau qui lui servait de quartier général, pour y trouver Takhini et Omasen, assoupis. Omasen ouvrit les yeux dès son arrivée, mais elle dut réveiller Takhini en lui secouant l’épaule.
- La cavalerie Omireline approche par le sud, annonça Imela sombrement.
Les deux hommes la regardèrent sans rien dire pendant un long moment. Takhini finit par rompre le silence.
- Il est l’heure de se rendre à l’évidence, dit-il. Nous avons tenu aussi longtemps que nous le pouvions, mais nous avons échoué. Accepter la défaite est l’un des devoirs les plus durs d’un général, mais cela n’en reste pas moins une nécessité.
- Vous me recommandez de me rendre, Takhini ? demanda Imela.
- Oui. Peut-être pouvons-nous encore négocier les conditions de notre reddition si nous présentons le drapeau blanc. Les Omirelins ne sont pas des barbares, même si leur reine est cruelle.
Imela regarda le vieil homme, songeuse, et finit par acquiescer.
- Vous avez raison. Nous pouvons peut-être encore sauver les vies de ceux qui ont tenu jusqu’ici. Je vais sortir et proposer ma reddition en échange d’un sauf-conduit pour nos hommes. La fin de ma vie est très probablement proche, mais au moins aurais-je la satisfaction d’avoir tout fait pour ceux qui m’ont suivie.
- Je vous accompagnerai, dit Omasen. Je suis aussi responsable que vous dans cette affaire, et je ne me déroberai pas.
Imela hocha la tête en signe de reconnaissance et l’invita à la suivre.
***
Le drapeau blanc était étrangement lourd dans les mains d’Imela, comme si les âmes de tous ceux qui étaient morts à cet endroit s’y étaient accrochées. La jeune femme fit signe aux sentinelles de faction d’ouvrir la porte de la forteresse. Ces derniers inclinèrent la tête et la saluèrent en plaçant leur poing droit sur le cœur, en signe de respect. Imela leur rendit ce salut, les larmes aux yeux. Elle savait qu’elle allait au devant de sa mort, et malgré toute sa volonté, elle avait du mal à s’y résigner. Le fait qu’elle s’en aille en conservant le respect des hommes qu’elle avait commandé la touchait profondément.
La porte s’ouvrit lentement et Imela, accompagné d’Omasen, sortit. Presque instantanément, les deux officiers se retrouvèrent entourés de soldats Omirelins qui leur intimèrent de jeter leurs armes. Ils obtempérèrent sans discuter, mais Imela conserva son drapeau tandis qu’on la conduisait au cœur du campement ennemi.
Ils passèrent devant des rangées de tentes où vivaient des soldats qui semblaient aussi fatigués que les hommes d’Imela. Ces hommes les regardaient à peine, ne réalisant peut-être pas que leur calvaire était terminé.
Le groupe finit par arriver devant la tente de commandement d’où s’élevait une voix forte.
- Amiral, cessez de discuter et envoyez immédiatement quelqu’un parlementer ! Je suis votre roi, à présent, et…
La voix était familière, comme si Imela était en train de rêver. Elle ne réalisa cependant l’identité de celui qui donnait des ordres qu’une fois à l’intérieur de la tente. La surprise et le soulagement lui firent lâcher un cri tremblant :
- Aridel !