Famille (6)
Par Alexandre Vaughan
Aridel, enfin délivré du fardeau de son armure, s’approcha du trône de la Sirène, et passa lentement sa main sur l’accoudoir. Le marbre était froid et lisse, poli par les bras de tous les souverains qui y avaient siégé. Le doute continuait a envahir l’ex-mercenaire. Avait-il vraiment sa place ici ? Comment pourrait-il être à la hauteur de son père, et de ses aïeux ? Il chassa ces sombres pensées. Impossible de reculer désormais.
Le souverain d’Omirelhen sentit une présence derrière lui. Il se retourna, et aperçut Redam Nidon, la tête baissée en signe de soumission, attendant patiemment que son supérieur lui adresse la parole.
Les sentiments d’Aridel envers Nidon étaient mitigés. Il lui était difficile de prendre pour argent comptant la loyauté d’un homme qui avait servi sa sœur sans se poser de questions. Le “sage” avait-il été simplement l’outil de Delia, ou avait-il pris une part active à ses complots, et donc à la mort du roi Leotel ? C’était impossible à déterminer sans mener une enquête approfondie sur les agissements du vieil homme. Aridel n’avait cependant pas de temps à perdre dans une chasse aux sorcières. Il préférait laisser à Nidon le bénéfice du doute pour le moment. Le nouveau roi avait besoin de conseillers afin que la transition entre le règne de Delia et le sien se fasse en douceur. Il statuerait sur le sort du vieil homme plus tard.
- Qu’y a-t-il, maître Nidon ? finit-il par demander.
- Majesté, j’ai fait la liste de tous les dossiers que votre sœur a laissé en attente. Ils sont nombreux, mais la plupart ne sont pas urgents. Il en est cependant un qui requiert votre attention immédiate.
- Parlez, ordonna Aridel.
- C’est une tentative de piraterie qui a dégénéré, se transformant en début de rébellion. Le fort de Maristel, à l’embouchure du Marif, a été pris d’assaut par des flibustiers, accompagnés par des navires de la marine ayant rejeté Delia. Cela fait maintenant plusieurs semaines que nos forces assiègent le fort, sans succès.
Aridel ne cacha pas son étonnement.
- Des pirates qui tiennent l’armée Omireline en respect ? Surprenant. Est-ce à cause d’eux que la garnison royale de Niûrelhin est si réduite ?
- Oui majesté. Devant l’échec de la marine, votre sœur avait décidé d’envoyer la garde d’élite en renfort afin d’en finir une bonne fois pour toute avec cet interminable siège. Elle devrait arriver sur place sous peu.
- La garde royale ? Pour une poignée de rebelles ? De plus en plus incroyable ! Qui sont ces malheureux ? Qu’ont-ils fait pour s’attirer la colère de Delia ?
- Comme je vous le disais, majesté, il s’agit d’officiers de la marine qui ont rejeté les ordres de votre sœur. Ils se sont ensuite fait passer pour des percepteurs d’impôts afin d’extorquer des fonds aux royaumes du nord, au nom de la couronne. Cela avait fini par provoquer des gros remous parmi la noblesse du royaume. De nombreux seigneurs ont envoyé des émissaires au palais, craint au scandales. Ils croyaient que Delia voulait les saigner à blanc avant de s’emparer de leurs terres. Il fallait agir pour les convaincre du contraire.
Aridel hocha la tête, intégrant toutes les implications de cette affaire.
- Je saisis mieux sa réaction disproportionnée. Quelle est l’identité de ces rebelles ? Peut-être pouvons nous régler ce problème de manière pacifique, maintenant que Delia est évincée ?
- Leur chef est le vice-amiral Omasen, fils de notre regretté Lionel. Il est accompagné de deux capitaines de frégates dont j’ai oublié le nom. Avec eux se trouve également un navire pirate Dûeni. Je me suis laissé dire qu’il était commandé par une femme, qui se fait surnommer Lame-Bleue. C’est très probablement une fable.
Aridel ne put s’empêcher de tressaillir en entendant le nom de la capitaine du Fléau des Mers. C’était la femme qui avait été son amante et lui avait permis de rejoindre les portes de Dalhin. Il saisit Nidon par les épaules.
- Lame-Bleue ? Vous êtes sûr ? demanda-t-il, contrôlant à peine ses émotions.
- Oui, majesté, souffla le vieil homme, masquant visiblement la douleur que lui procurait la poigne de son souverain. C’est ce que j’ai entendu. Vous la connaissez ?
- Si je la connais ! Je dois la vie à cette femme, et bien plus encore. Sans elle je ne serai pas là à vous parler. Quand sont parties les troupes de Niûrelhin ?
- Il y a cinq jours, majesté.
- En chevauchant maintenant, peut-être avons nous le temps de les rattraper avant qu’elles arrivent sur place. Qu’on me trouve une monture sur le champ ! Et allez me chercher Djashim et Ayrîa, ils vont m’accompagner.
- Majesté, je … commença à protester Nidon
- Obéissez, Nidon ! Si Imela est blessée par les troupes Omirelines, je ne pourrais jamais me le pardonner.
Le vieil homme, constatant qu’il était vain d’essayer d’argumenter, s’en alla sans un mot. Aridel se mit à faire les cent pas, incapable de contrôler ses nerfs. Il en oubliait presque le trône qui était à présent le sien. Ses émotions passaient de la joie de savoir qu’Imela était encore vivante à la crainte de ce qui avait pu lui arriver, en passant par l’impatience de ne pouvoir la retrouver tout de suite. Il avait du mal à se dominer. Les affaires du royaume attendraient ! Erû pouvait bien aller au diable, Aridel retrouverait Imela quoi qu’il arrive.