Famille (5)
Par Alexandre Vaughan
Lanea poussa la porte de métal rouillé en utilisant toute la force de ses bras. Au bout d’un moment, les gonds finirent par céder dans un grincement épouvantable. Heureusement que la sortie était isolée. La jeune femme émergea à l’air libre pour la première fois depuis deux semaines. Même si elle était soulagée de quitter l’atmosphère oppressante du tunnel de service, le paysage qui l’attendait n’était pas beaucoup mieux. Les nuages de l’Hiver Sans Fin recouvraient le ciel de leur grisaille dense, et le panorama extérieur était à peine plus lumineux que la galerie qu’elle venait de quitter.
Lanea referma la porte. Il était vital que les accès aux voies de service de l’ancien Porteur des mages restent cachées. Même s’il ne restait plus aucun véhicule magnétique opérationnel, la résistance utilisait les tunnels encore accessibles pour voyager à pied à travers Dafashûn. Cela permettait aux agents de Lanea de rester loin des regards des hommes du nouvel Empire, et de se protéger des rigueurs de l’Hiver sans Fin. Lanea avait ainsi pu faire le voyage d’Oeklhin vers Erûmar en moins de trois semaines, ce qui aurait constitué un exploit en surface.
Erûmar était un des plus anciens ports de Dafashûn. La ville avait beaucoup souffert de l’éruption de L1, bien sûr, mais ses habitants s’en étaient mieux tirés que ceux de la plupart des autres villes du pays. En effet, lorsqu’Oeklos avait décidé de construire sa forteresse près de l’ancienne capitale du Royaume des Mages, il lui avait fallu mettre en place toute sa logistique. Il avait besoin de transporter une grande quantité de biens en provenance d’Erûsard et de Sorcasard vers Dafashûn. Erûmar était l’un des plus grands port de l’île-continent de Lanerbal, une plateforme tournante idéale pour la plupart des navires marchands venant des grands continents. Cela en faisait également, bien sûr, un endroit idéal pour l’échange d’informations, et c’était la raison pour laquelle Lanea en avait fait le but de son voyage.
La ville et son port se trouvaient à moins d’un quart de lieue de la sortie du tunnel. Il ne faudrait pas plus de quinze minutes de marche à Lanea pour la rejoindre. Prenant son courage à deux mains, elle avança dans le froid.
* * *
Lanea avait ses habitudes à Erûmar. Elle avait rapidement trouvé une auberge où elle savait qu’on ne lui poserait pas de questions. Après avoir réservé une chambre où elle avait déposé ses affaires, elle s’était rendue directement sur les quais. Le but de la jeune femme était de trouver Sedûcil, l’agent de la résistance qui lui servait d’intermédiaire avec les marins.
Comme elle s’y était attendue, elle le trouva dans une des tavernes faisant face au quai. Sedûcil se faisait passer pour un docker, ce qui lui permettait de passer relativement inaperçu lorsqu’il posait des questions indiscrètes. Les troquets du port étaient bien sûr les endroits où il était le plus facile d’échanger des informations, c’est donc là qu’il passait le plus clair de son temps.
L’homme était assis au bar, sirotant une bière épaisse tout en discutant avec ses collègues de travail. Lanea s’approcha de lui et, enlevant sa capuche, lui dit de son air le plus innocent :
- Alors, marin, tu m’offres un verre ?
Sedûcil se tourna vers elle, et elle vit qu’il l’avait reconnue. Il se prêta au jeu et répondit.
- J’suis pas un marin ma jolie, mais pour sûr. Par contre je ne vais pas te laisser boire cette pisse de cheval. Viens avec moi, je connais de bien meilleurs endroits.
Lanea lui fit un clin d’oeil, et constata aux rires gras des autres hommes que son subterfuge avait fonctionné. Ils sortirent tous les deux et se placèrent en dehors des regards, dans une venelle non loin du quai.
- Vous prenez de gros risques à venir ici, dit Sedûcil sans préambule.
- Nous sommes étroitement surveillés, et je ne veux plus risquer la vie d’un autre agent. J’ai un message à transmettre aux résistants Sorûeni.
Elle lui remit la lettre qu’elle avait préparé, détaillant le plan d’Oeklos concernant la flotte Dûeni.
- Pensez-vous pouvoir trouver un navire capable de faire parvenir ce pli rapidement en Sorûen ?
Sedûcil réfléchit.
- Oui je pense. Vous avez de la chance. Le Trésor Perdu, un navire Sorûeni, vient d’arriver à quai et il part demain pour Erûsard. Il y a bord un ou deux matelots en qui j’ai relativement confiance. Si vous voulez, nous pouvons nous y rendre dès maintenant. Continuez à jouer votre rôle, et nous devrions passer inaperçus.
- Parfait, acquiesça Lanea. Nous n’avons pas de temps à perdre. Je vous suis.
Tous deux se dirigèrent alors vers un quai ou était amarré un brick de taille modeste. Les grues le déchargeaient lentement tandis que les matelots débarquaient par une passerelle en bois.
En s’approchant, Lanea eut le regard attiré par la silhouette d’un homme qui descendait péniblement, en toussant. Il semblait très malade, et son visage avait un teint gris et malsain. Il fallut un long moment à Lanea pour le reconnaître. Lorsqu’elle réalisa enfin qui elle avait devant elle, elle ne put cacher sa surprise.
- Taric ! s’exclama-t-elle.