Famille (4)
Par Alexandre Vaughan
Les Sorcami du clan du désert avaient les traits durs d’un peuple habitué à un climat rude. Pourtant, ils avançaient avec confiance dans l’environnement littoral, même si leur regard conservait une touche d’humilité. Leurs yeux étaient intenses et perçants, et Shari comprenait maintenant d’où venait réellement Itheros.
La jeune femme avait l’impression de revivre l’histoire de Padina, l’ancêtre d’Aridel, reine d’Omirelhen et fondatrice de la maison de Leotel. Quinze décennies auparavant, la future souveraine, alors adolescente, s’était elle aussi rendue à Sorcakin, accompagné par un Itheros beaucoup plus jeune.
Shari pouvait à présent pleinement profiter de son voyage en Sorcamien. Elle n’était plus enfermée dans un coffre ou une cage. Assise sur un dromadaire, dominant la route, elle prenait pleinement conscience de la beauté et de l’étrangeté du pays des hommes-sauriens. La jeune femme se sentait revivre. Pourtant, elle n’oubliait pas la mission qui l’attendait dans la capitale.
- Nous arriverons à Sorcakin demain, dos-Itheros, annonça Galdorûgh, le chef des Sorcami qui les escortaient.
- Très bien, répondit l’intéressé. Nous nous rendrons directement au palais des Lûakseth. Étant donné nos récentes mésaventures, tout délai ne ferait que nous mettre en danger. Les partisans de Raksûlos sont probablement nombreux dans les rues de la capitale, et un accident est très vite arrivé. Et aux yeux de la loi, je suis un traître, tant que les représentants des clans n’auront pas annulé mon verdict.
Galdorûgh acquiesça de la tête, l’air grave. Il était visiblement parfaitement conscient du danger. Il partit dire quelques mots à ses hommes puis, à la grande surprise de Shari, se rapprocha de la jeune femme.
- Princesse-Shas’ri’a, je suis honoré de votre présence parmi nous. Cela fait longtemps que je n’avais pas pu discuter avec une humaine, dit l’homme-saurien dans un Dûeni sifflant. Lorsque vos semblables nous rendaient régulièrement visite, j’aimais beaucoup comparer nos points de vue. Il est regrettable que nos peuples aient choisi de suivre la voie de la guerre. De quel pays venez-vous ? Vous semblez bien différente des hommes d’Omirelhen.
Shari, à la fois étonnée et flattée de l’intérêt du Sorcami, lui répondit dans sa propre langue en signe de respect.
- Je viens de l’Île de Sûsenbal, au delà de l’Océan Extérieur. Et tout comme vous j’apprécie de découvrir d’autres peuples. L’histoire et les coutumes Sorcami sont très riches, par certains cotés bien plus que les nôtres. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres.
Le Sorcami inclina la tête.
- Votre maîtrise de notre langue est excellente, dit-il. Je suis impressionné. J’espère que votre venue et celle de dos-Itheros vont faire bouger les lignes. De plus en plus de Sorcami commencent à réaliser que Raksûlos n’est qu’un pantin à la solde d’Oeklos. Celui qui se prétend empereur nous a berné. Le Sorcami marqua une pause. Pardonnez ma curiosité, mais pourriez-vous m’en dire plus sur Sûsenbal ? demanda-t-il.
- Bien sûr, sourit Shari. Il s’agit d’un archipel d’îles, au large de la côte est du continent d’Erûsard. Nous avons nous aussi une histoire très différente des autres humains. Alors que l’empire de Blûnen, les Anciens, régnait sur ce monde, mes ancêtres vivaient à l’écart des autres hommes, dans une société basée sur d’anciennes traditions. Cela nous a été très utile lorsque Blûnen est tombé, car nous avons pu apporter aux survivants des connaissances qu’ils avaient perdues.
- J’ignorais qu’il existait un tel royaume au sein des provinces humaines. J’espère que les sept pères me donneront un jour l’occasion de vous rendre visite.
- Je joins mes prières aux vôtres, approuva Shari.
La jeune femme ne pouvait s’empêcher de sourire intérieurement. Le court échange avec Galdorûgh lui avait redonné foi en l’avenir. Si les sentiments du Sorcami étaient partagé par d’autres, leur plan ne pouvait qu’aboutir.
* * *
La ville de Kifiri avait impressionné Shari, pourtant ce n’était rien en comparaison de ce qu’elle découvrit à Sorcakin. La jeune femme avaitbeau avoir lu de nombreuses descriptions de la cité pyramidale, c’était une tout autre chose que de l’avoir sous les yeux.
Les voyageurs s’étaient arrêtés au sommet d’une colline surplombant la ville, révélant un panorama sans égal. Nichée entre terre et mer, Sorcakin était une colossale pyramide blanche au sommet plat, resplendissant au soleil. Sa géométrie était d’une perfection presque surnaturelle, comme si le créateur lui même avait bâti la cité des hommes-sauriens.
La route qui menait aux portes de la ville était pavée, et chaque pierre s’emboitait parfaitement dans les autres, dans un souci de détail à nul autre pareil. Il s’agissait d’une route très fréquentée, mais les Sorcami semblaient vouloir éviter ou ignorer les voyageurs et leur escorte du clan du désert. Tous détournaient le regard lorsqu’ils apercevaient Shari, mais la jeune femme pouvait parfois lire dans leurs yeux l’étonnement et même dans certains cas, la haine.
Itheros avait masqué son visage, afin de ne pas être reconnu trop tôt, mais même cette précaution semblait inutile dans la foule qui se densifiait au fur et à mesure de leur approche. Les portes elles-mêmes étaient gardées, bien sûr, mais les soldats qui les surveillaient semblaient plus être là pour faire acte de présence qu’autre chose. Ils n’arrêtèrent même pas les voyageurs, à la grande surprise de Shari.
- L’accès à Sorcakin est ouvert à tous sans exception en journée, expliqua Itheros en réponse à la question non formulée de la jeune femme. Il serait trop compliqué et long de vérifier tous les voyageurs, et Sorcakin est une cité très cosmopolite qui abrite des hommes-sauriens venant des quatre coins du pays.
- Mais ils ont bien dû voir que j’étais une humaine, répliqua-t-elle.
- Bien sûr, mais les humains ne sont pas si rares dans la capitale, ce n’est que dans le reste du pays qu’ils sont bannis. Vous pourriez très bien être une esclave, ou une représentante du Nouvel Empire.
Shari se tut, repoussant péniblement les douloureux souvenirs de sa captivité à bord du Chayschui saychil. Elle se concentra sur l’observation de la ville qui l’entourait. De près, les pyramide était découpée en terrasses successives ou fleurissaient de magnifiques jardins couverts de végétation. C’était sublime, et les fontaines qui faisaient circuler l’eau entre ces havres de verdures venaient renforcer l’impression de calme et de beauté qui emplissait la cité. Aucune ville humaine que Shari avait visité ne lui était comparable.
La jeune femme fut rappelée à la réalité par la voix d’Itheros.
- Ne traînons pas, dit-il. Nous devons rejoindre la chambre des Lûakseth au sommet de la ville.
Galdorûgh acquiesça, les guidant vers l’intérieur de la ville, où le plus dur les attendait.