Famille (3)
Par Alexandre Vaughan
Les portes du palais royal de Niûrelhin étaient fermées. Delia n’allait pas céder si facilement face à son son frère. Les battants arboraient le blason d’Omirelhen, une sirène surmontée d’une couronne et portant à la main une épée pourfendant un serpent. On distinguait dans ce symbole l’héritage de l’empire de Dûen, dont l’épée et la couronne avant pendant longtemps dominé Sorcasard.
Ayrîa était presque hypnotisée par ce qui se trouvait devant elle. Elle assistait à un coup d’état, ni plus ni moins. Aridel s’était placé devant le groupe formé par les gardes Omirelins lui ayant prêté allégeance et les soldats du comte de Leofastel. Son armure d’or et d’azur resplendissait, comme animée d’une lumière propre, dans la grisaille de la fumée et des nuages. Le prétendant au trône s’approcha, se plaçant d’une toise des portes et s’arrêta là. Il leva la main, s’apprêtant à parler.
Avant même qu’il ait pu prononcer le moindre mot, les portes s’ouvrirent, et Ayrîa eut un hoquet de surprise. Était-ce des partisans d’Aridel qui en avait pris le contrôle ? Ayrîa n’eut pas longtemps à attendre la réponse.
Derrière la porte se trouvait la cour du palais où les attendaient une troupe de soldats en armes. Ils entouraient une femme couronnée, accompagnée de ce qui était visiblement des courtisans. Son visage n’était pas sans rappeler celui d’Aridel. Ses yeux recelaient cependant une cruauté que la jeune femme n’avait jamais vue chez l’ex-mercenaire. Sans attendre, elle se mit à parler.
- Te voilà donc, Berin. Tu arrives en conquérant, prêt à faire couler le sang dans ton propre pays. Cela ne m’étonne pas de toi. Tu n’as jamais été qu’un enfant gâté voulant jouer au soldat. Je ne sais pas où tu as obtenu ceci - Elle désigna son armure - mais je doute que cela suffise à te redonner le pouvoir. J’ai fait plus pour Omirelhen que tout ce que tu aurais pu accomplir. Le royaume court à sa perte si je te laisse la couronne.
- Delia, tonna Aridel à travers son armure, sa voix dirigée vers sa sœur. C’est toi qui m’a obligé à prendre les armes, me condamnant à l’exil pendant presque cinq ans. J’admets que j’ai failli à Omirelhen en laissant notre royaume entre tes mains pendant si longtemps. Mais si je suis ici à présent, c’est pour réparer mes torts. Jamais plus Omirelhen ne subira la loi d’Oeklos. Nous ne sommes les vassaux de personne ! Et comment oses-tu porter le jugement sur moi, toi qui assassiné notre père à petit feu pour assouvir tes propres ambitions ? Tu n’es pas digne de notre peuple, ni de la maison de Leotel. Devant les témoins rassemblés ici, je le dis : tu n’es qu’une usurpatrice !
- Des mots très fort, mon frère, pour quelqu’un qui a abandonné son devoir pendant en laissant notre père et notre frère dans le besoin. Et qui de nous deux joue sur la crédulité du peuple en venant brandir les mythes qui entourent notre famille ? La prophétie d’Oria n’est qu’une fable, et ce n’est pas cette armure qui la rendra vraie. Ne crois pas que tes partisans soient si nombreux ici.
- Je suis ton frère aîné et je n’ai jamais abdiqué officiellement le trône. D’après la loi, je suis donc le souverain légitime d’Omirelhen, quoi que tu puisses en dire. La couronne que tu portes m’appartient de droit. Remets la moi et je saurai me montrer clément. Il est inutile de continuer à faire couler le sang.
- Tu as perdu ces droits lorsque tu as fui notre royaume. C’est moi que père a désignée comme seule héritière du trône. Tu n’es a présent plus qu’un criminel qui a violé la loi en venant jusqu’à Niûrelhin en armes.
- De quelle loi parles-tu ? lança alors Aridel. Celle des hommes, ou celle d’Erû ? C’est par sa volonté que je dispose de cette armure, la seule arme capable de contrer le pouvoir d’Oeklos. Je suis, que tu le veuilles ou non, un Gardien d’Erûsarden, et je vous demande à tous de venir vous battre à mes cotés. Ensemble nous pourrons libérer le monde de ce tyran qui nous oppresse.
- Tu crois vraiment m’impressionner ? Gardes, emparez-vous de cet imposteur !
Les hommes de Delia ne réagirent cependant pas tout de suite, hésitants. Les paroles d’Aridel les avaient visiblement fait réfléchir. Ayrîa vit alors un vieil homme s’approcher de Delia et lui parler à l’oreille. Ce qu’il dit ne plut visiblement pas à la reine car elle le repoussa violemment. La colère se lisait sur son visage.
- N’y a-t-il donc personne ici pour obéir à sa reine ? Vous me devez la vie ! Allez-vous vraiment suivre cet incapable ?
Aridel se mit alors à avancer vers sa sœur, son armure toujours étincelante. Les gardes s’écartèrent, lui laissant le passage. Il ne fut bientôt plus qu’à une toise d’elle. Personne ne disait mot.
- Delia Setrinadoter, annonça alors solennellement Aridel, princesse de la famille royale d’Omirelhen, membre de la maison de Leotel, je t’arrête pour régicide et haute trahison envers la couronne. Gardes, saisissez vous d’elle.
Cette fois-ci, le mouvement des gardes fut plus franc. Delia réalisa visiblement qu’elle avait perdu la partie, car son regard changea, comme si elle évaluait ses options. Elle leva alors la main et son visage se fendit d’un sourire cruel.
- Tu as peut être gagné cette manche Aridel, mais je suis loin d’avoir dit mon dernier mot. Tu n’es rien face à Oeklos !
Elle appuya alors sur la broche qu’elle portait à l’épaule.
En un instant la reine disparut purement et simplement au regard de tous, laissant l’air remplir violemment l’espace vide où elle se tenait quelques secondes plus tôt.
- Diablerie ! s’exclama l’un des gardes du comte. Delia est une sorcière !
Aridel était tout aussi stupéfait que ses hommes. Comme Ayrîa et Djashim, il était figé sur place, se demandant ce qui venait de se produire. Le vieil homme qui avait chuchoté à Delia fut le premier à se remettre de ceci et s’approcha d’Aridel.
- Je suis maître Redam Nidon, du conseil royal, dit-il. Vous l’avez vu comme moi, Delia l’usurpatrice a utilisé un sortilège pour fuir. Mais notre souverain légitime est de retour. Il se mit à genoux devant Aridel. Longue vie à Berin, roi d’Omirelhen !
Tout autour d’Aridel, Djashim et Ayrîa, les hommes mirent un genou en terre, imitant Redam Nidon, et inclinèrent la tête devant leur nouveau souverain.
- Longue vie au roi ! répétèrent-ils à l’unisson.