Odyssée (6)
Par Alexandre Vaughan
La visière du casque d’Aridel, une fois rabattue, recouvrait le monde d’une fine pellicule presque irréelle, comme dans un rêve. Dès que l’ex-mercenaire tournait son regard vers un objet ou un être humain, l’armure surlignait la cible visée. Cela avait beaucoup perturbé Aridel au début, mais il avait fini par s’y habituer. Il observait avec attention ses “adversaires”. Ces soldats Omirelins étaient en réalité ses compatriotes, ou plutôt ses sujets, et il espérait de toute son âme ne pas avoir à les combattre.
Leurs regards affichaient une stupéfaction derrière laquelle se cachait une sorte de respect ou de crainte révérencieuse. Malgré tout le mépris qu’Aridel avait pour le plan d’Erû, il devait bien avouer que son “cadeau” se révélait bien utile dans ces circonstances.
Derrière l’héritier légitime du trône d’Omirelhen, les hommes du comte s’étaient organisés en formation défensive. Il savaient pourtant que si Aridel n’arrivait pas à convaincre leurs adversaires, ils n’avaient que très peu de chance de survie. Et même si le prince héritier leur avait expliqué ce qu’il comptait faire, c’était la première fois qu’ils le voyaient en armure, et ils étaient, comme les gardes royaux, sans voix.
Enfin presque. Aridel en entendit quelques un chuchoter. “La prophétie. C’est donc vrai.”, “La lignée de Leotel, Gardiens d’Erûsarden”. Aridel tentait d’ignorer tant bien que mal ces paroles dérangeantes. Il leva la main vers les gardes de Delia en un geste de paix que venait trahir le grondement des canons et le sifflement des boulets.
- Je ne vous veux aucun mal, dit-il, mais je n’aurais aucune hésitation à me défendre si l’un de vous prétend m’empêcher de rejoindre mon palais. Ma sœur est soumise à la volonté d’Oeklos et son règne n’a que trop duré !
- Imposteur ! cria soudainement l’un des officiers commandant les gardes avant de se jeter vers Aridel, l’épée à la main. A l’attaque ! ordonna-t-il.
Ses hommes hésitaient, ne sachant trop que faire. Par la force des choses, l’infortuné lieutenant se retrouva seul, à moins d’une toise d’Aridel. L’ex-mercenaire, malgré lui, admirait le courage et la loyauté de cet officier envers sa sœur. L’homme, malgré isolement, continua sur sa lancée, et sa lame vint frapper l’armure d’Aridel.
L’arme se brisa sous le choc, laissant le lieutenant avec une simili-dague dans la main. Persévérant dans ses efforts, l’officier essaya de planter ce bout de lame dans la poitrine d’Aridel, mais en vain. La violence du contrecoup le fit reculer, et Aridel s’empara de son poignet, serrant très fort.
L’officier lâcha son arme, poussant un hurlement de douleur, tous les os du poignet brisés. Aridel le força d’un mouvement de bras à se mettre à genoux et le regarda fixement, sa visière le transformant en cible rouge.
- Ne me forcez pas à mettre fin à votre vie, lieutenant, l’implora-t-il. Omirelhen a besoin de braves officiers comme vous. Notre véritable ennemi est Oeklos.
- La reine nous protège d’Oeklos ! répliqua l’officier, au bord des larmes tant la douleur était forte. Vous voulez nous faire rentrer en guerre contre un mage !
- La guerre n’a jamais cessé, lieutenant. Omirelhen est devenu un état vassal d’Oeklos. Nous avons perdu la liberté durement obtenue sous le règne de mes aïeux. Je ne peux plus le tolérer !
Aridel s’interrompit avant de reprendre d’un ton plus doux.
- Je suis coupable de vous avoir tous abandonnés et d’avoir fui mon devoir. Mais j’ai décidé d’arrêter de me cacher. Je suis ici pour rattraper mes fautes et vous redonner à tous ce qui vous revient de droit ! Je vous demande juste une chose : conduisez-moi jusqu’au palais : Erû décidera alors qui de ma sœur ou de moi est digne de prendre place sur le trône de la sirène.
Un sergent se détacha alors du rang des gardes, et inclina la tête devant Aridel.
- Il en sera ainsi que le prophète l’a écrit, majesté dit-il. Il s’agit d’affaires dépassant l’entendement des simples mortels que nous sommes. Il se frappa le plastron du poing droit. Pour ma part, j’ai prêté serment au souverain du Royaume d’Omirelhen, quels que soit ses égarements. Je vous guiderait jusqu’à la régente, et puisse le jugement d’Erû vous être favorable.
Il se tourne vers ses hommes.
- Qui me suivra ?
A la surprise d’Aridel, tous imitèrent le salut du sergent, indiquant leur approbation. L’héritier du trône relâcha alors le poignet de l’infortuné lieutenant, et laissa l’homme sur le coté, silencieux. Il avança, se plaçant au milieu des soldats qui l’entourèrent, tout en maintenant une bonne ditance. Les hommes du comte, Djashim et Ayrîa à leurs cotés, réalisant qu’ils n’auraient pas à se battre, se placèrent derrière eux et tous entamèrent la marche les menant vers le cœur du pouvoir d’Omirelhen.