Force (4)
Par Alexandre Vaughan
Cela faisait déjà plus de deux heures que Lanea fouillait les données du Noyau. L’autonomie de la batterie portative qu’elle utilisait était déjà réduite de moitié. Il n’y avait pas de temps à perdre. Il était cependant très difficile de s’y retrouver dans cette profusion de données, et Lanea était loin d’être une experte dans la manipulation des consoles. Avant la chute de Dafashûn, ce savoir avait été réservé aux Dalfblûnen, un ordre de mage spécialisé dont la jeune femme ne faisait malheureusement pas partie. Comme pour rendre la tâche encore plus ardue, un grand nombre d’articles étaient illisibles, leurs unités de stockage rendues hors d’usage lors de l’éruption de L1.
Lanea avait commencé par chercher tout ce qui se rapportait à Erû, mais n’avait rien trouvé d’intéressant. Elle n’avait vu qu’une multitude de dissertations absconses sur les différentes religions d’Erûsarden. Elle avait commencé à en parcourir quelques unes, mais leur lecture était ardue. Les yeux de la jeune femme étaient rougis par la fatigue et la lumière inégale de l’écran.
Prise de lassitude, elle décida de changer de stratégie, et d’utiliser Dalhin comme nouveau mot-clé. C’était après tout la cité céleste où était censé résider Erû. Une nouvelle fois, une liste de documents s’afficha à l’écran. La plupart semblaient superficiels et sans aucun intérêt. Au bout de quelques minutes, elle finit cependant par tomber sur un titre intrigant.
Pironal : la vérité derrière Dalhin ?
Pironal… La lettre de Djashim mentionnait ce nom. C’était effectivement l’ancien nom de Dalhin, se rappela-t-elle. Voilà qui était un peu plus prometteur. Lanea ouvrit l’article et se mit à lire. Le texte avait été écrit par un mage de Dafakin, Leosam Lanestel, en l’an 150, plus de treize siècles auparavant.
Depuis la chute de l’Empire de Blûnen, tel que nous le nommons maintenant, la plupart des humains vivant sur cette planète on perdu leur lien avec la technologie de nos ancêtres. Le désespoir et l’ignorance se sont emparés de deux générations et ont contraint bien des hommes à se tourner vers les mythes et les légendes pour se rassurer.
L’une de ces légendes s’est transformée en véritable religion sous l’influence d’un prophète, Erûdrin, révélé dans la ville de Samar. Nombre de ses affirmations semblent pure fantaisie, pourtant, toutes ne sont pas à rejeter. Ses histoires semblent provenir d’un fond de réalité qui fait écho à ce que nous enseignent nos archives.
Un des piliers de la religion d’Erûdrin est en effet l’existence d’une cité céleste nommée Dalhin ou résiderait Erû, le dieu tout puissant. Difficile, en étudiant les écrits de l’Empire de Blûnen, de ne pas faire le parallèle entre cette cité et la station spatiale Pironal ou Phoenix, comme elle était appelée autrefois. C’est sur ce vaisseau-colonie que nos ancêtres ont rejoint leur nouveau monde. Les archives impériales de Blûnen sont succinctes en ce qui concerne ces temps très reculés, mais toutes s’accordent à dire que le Pironal a été conservé à la fin de la colonisation, et qu’il n’a pas, contrairement à ce que certains de mes collègues ont pu affirmer, été détruit. Il se pourrait même qu’il soit encore en orbite autour du satellite de notre planète.
Si tel est le cas, comment ne pas imaginer qu’il reste des gardiens à bord ? Et si ces habitants ont vu ce que les Sorcami on fait à notre Empire, peut-être ont-ils finalement décidé d’agir. Auraient-ils pu être à l’origine des fameuses “visions” d’Erûdrin ? Ils se seraient ainsi idéalement positionné comme des “anges” aux yeux de ses croyants.
Erû est, s’il faut en croire les archives, le nom du système chargé de réguler la vie à bord du Pironal. Un bon moyen pour ces “anges” de légitimer leur divinité auprès des ignorants.
Tout ceci est hautement spéculatif, bien entendu, mais me parait extrêmement important d’en découvrir plus à ce sujet. Si des survivants possédant un niveau technologique similaire à celui des Anciens décident de fonder une religion pour contrôler un continent, nous nous trouvons en présence d’un très grave danger. Les mages de Dafashûn ont juré de préserver la technologie de Blûnen en évitant de retomber dans les erreurs du passé. Un groupe tel que les hommes du Pironal pourrait être un puissant allié, ou un ennemi redoutable.
Dans ce dernier cas, il est vital que nous mettions tout en œuvre pour contrer cette menace. Au minimum, notre responsabilité serait de mettre le Pironal hors de portée du réseau de téléportation quantique. Je me suis donc lancé dans la tâche de récupérer toutes les informations possibles au sujet de la station. Vous trouverez ces documents en annexe de ce texte.
Ces recherches ont été révélatrices, et m’ont conduit à penser que le Pironal, s’il existe encore, dispose d’un système d’urgence, conçu pour se déclencher en cas d’avarie irrécupérable. Ce système donnerait à quiconque en connait les clés le moyen de contrôler l’ensemble de la station. J’ai placé la description de ce système en annexe également.
Je pétitionne donc le conseil des archimages et l’enjoins à envoyer une mission afin de vérifier l’existence du Pironal, et, le cas échéant, de s’en assurer le contrôle.
L’écran se mit à clignoter. La batterie se déchargeait plus vite que prévu et était presque à bout de course. Ce n’était pas grave. Lanea avait trouvé ce qu’elle cherchait ! Sans perdre une minute, la jeune femme transféra le document de Lanestel ainsi que toutes ses pièces jointes sur son cube de données et se déconnecta. Il était temps de retourner auprès d’Erûciel.