Force (3)
Par Alexandre Vaughan
Les mois qu’Aridel avait passé à naviguer avaient fait de lui un marin, en plus du soldat. Il se rappelait avec une certaine nostalgie son rôle d’officier à bord du Fléau des Mers. Imela lui manquait. Son amante lui avait apporté une stabilité et une force qu’il aurait bien aimé retrouver. A présent, c’en était fini de sa liberté. Il allait devoir affronter son destin et réclamer son héritage.
A bâbord du Guide céleste se dessinait la côte d’Omirelhen, que le navire longeait depuis plusieurs jours déjà. Les falaises grises étaient entrecoupées de plages de sable grossier ou de galets polis par le ressac. Au dessus d’elle s’étendait un pays verdoyant, que les nuages de l’Hiver sans Fin avaient épargné, rendant sa beauté encore plus précieuse.
Omirelhen. Le pays natal d’Aridel, et le domaine de sa famille. Il était le véritable souverain de ces terres, et les hommes et les femmes qui y vivaient étaient ses sujets. Il allait bien sûr devoir le prouver. Pour cela, la première chose à faire était de trouver des alliés. Il existait bien sûr encore des nobles prêts à contrer la volonté de sa sœur Delia, l’usurpatrice. Pourtant Aridel craignait qu’unifier Omirelhen sous sa bannière ne soit pas chose facile.
Contrairement aux apparences, le Royaume de la Sirène n’avait jamais réellement été une nation complètement unie. Durant une grande partie de son histoire, les guerres entre les seigneurs de province étaient fréquentes. C’était l’arrivée au pouvoir de Leotel Ier, le fondateur de la dynastie à laquelle appartenaient Delia et Aridel, qui avait changé cela, un peu plus d’un siècle auparavant. Leotel était devenu le souverain d’un pays ou l’autorité royale était bien souvent ignorée ou contestée. A l’époque, les comtés d’Omirelhen étaient presque, des entités indépendantes. Leotel et ses successeurs avant entamé un long processus de centralisation, basé sur la diplomatie et l’usage modéré de la force, qui avait permis au pays de trouver une paix relative, et de prospérer comme l’une des grandes puissances du monde.
Toutes les velléités d’indépendance n’avaient cependant pas été écrasées. Le royaume d’Omirelhen était très vaste, et il était impossible de le contrôler dans son intégralité depuis Niûrelhin, la capitale. Le pouvoir royal reposait donc sur un équilibre précaire entre son administration centralisée et les droits accordés aux comtes dans leurs juridictions. C’était un modèle qui avait été copié sur le système administratif de l’Empire de Dûen. Avant d’acquérir son indépendance Omirelhen avait en effet été une province impériale, et la culture Dûeni imprégnait ses habitants. Chaque comté était responsable de sa propre force militaire, même si les comtes était eux mêmes soumis au roi. C’était une concession que devait faire l’autorité royale pour conserver sa place, et c’était là dessus que comptait Aridel pour pouvoir contrer sa sœur.
L’un des meilleurs endroits pour démarrer cette “insurrection” était Leofastel. Le comte Omasûan avait été l’un des plus précieux alliés et ami de Leotel III, le père d’Aridel. Le prince s’en rappelait comme d’un homme à l’aspect sévère, guidé par son amour des traditions. Il n’avait sûrement pas apprécié l’arrivée sur le trône d’une femme, fût-elle la fille de son souverain. Aridel espérait jouer sur ce levier tout autant que sur l’honneur du seigneur de Leofastel pour l’amener à l’aider. Il souhaitait le plus possible éviter d’avoir recours à l’armure d’Erû pour prouver sa légitimité. L’entité lui avait affirmé qu’il était “Gardien d’Erûsarden” mais Aridel était avant tout un membre de la famille royale, et il espérait qu’Omasûan s’en rappellerait.
Plus le temps passait, plus Aridel en venait à détester cette armure. Il sentait son son humanité disparaître petit à petit en la portant. Allait-il se transformer en machine, devenant comme Erû un être sans compassion ? Si la cuirasse n’avait pas représenté le seul espoir de contrer Oeklos, il s’en serait débarrassé longtemps auparavant.
La voix de Djashim vint tirer l’ex-mercenaire de ses pensées.
- C’est la première fois que je mets le pied en Omirelhen, dit le jeune homme. Est-ce très différent de Niusanif ou Sorûen ?
Aridel sourit, presque malgré lui.
- Chaque contrée a ses particularités et sa propre culture Djashim. Et malgré ton jeune âge, je sais que tu en es conscient. Tu as bien plus voyagé en quelques années que la plupart des gens dans toute leur vie. Tu va voir qu’il existe de nombreuses similitudes entre Omirelhen et les pays que tu as déjà visités. Mais je pense que tu découvriras vite par toi même les spécificités du Royaume de la Sirène.
Djashim ne semblait pas très satisfait de la réponse évasive de son aîné. Il resta silencieux, pesant ses paroles.
- Pourquoi l’appelle-t-on le Royaume de la Sirène ? coupa alors Ayrîa, s’immisçant dans la conversation.
- La sirène est le blason de l’autorité Royale, répondit Aridel. Le Grand-Duc Oria, premier seigneur d’Omirelhen, était un marin. C’est lui qui a mené en grande partie les conquêtes qui ont fait fuir les Sorcami de ces terres. Il était aussi très superstitieux, et il était persuadé que c’étaient les sirènes qu’il avait aperçu lors de l’un de ses voyages en mer qui lui avaient donné la victoire. Il a donc choisi d’en faire son symbole, et celui de son nouveau royaume.
- Des sirènes ? Ce sont des fables pour enfant !
- Détrompe-toi Ayrîa, répondit alors Aridel, très sérieusement. J’en ai vu de mes propres yeux à Sûsenbal il y a cinq ans, avant le début de l’Hiver sans Fin.
La cloche du Guide céleste retentit soudain, annonçant l’heure du déjeuner.
- Allons manger, je vous raconterai cela devant notre repas.