Force (2)
Par Alexandre Vaughan
Le Noyau. C’était le centre névralgique, le point focal de tout le savoir des mages de Dafashûn. Même si la majestueuse banque mémorielle n’était plus que l’ombre de ce qu’elle avait été, l’endroit imposait le respect. Les plus grands parmi les dirigeants du peuple de Lanea avaient puisé leurs connaissances ici. Elle se sentait presque sacrilège d’avoir pénétré dans ce qui avait représenté, cinq années auparavant, le saint des saints de Dafakin.
C’était grâce au Noyau, préservé de la colère des Sorcami par le dôme de leur capitale, que les mages d’autrefois avaient pu préserver la science des Anciens. Ils avaient ainsi fondé une société dont le seul but était la préservation et la protection de ces connaissances. Dafashûn avait été, bien plus que Dûen, le véritable héritier de l’Empire de Blûnen, disparu quinze siècles auparavant.
Le Noyau avait malgré tout fini lui aussi par connaître le sort de ses créateurs. Les mages n’avaient pas pu lui éviter ce funeste destin, et le joyau connu la même ruine que son écrin. Le bâtiment dodécaédrique qui l’abritait n’avait plus que six faces intactes. Il ressemblait à une demi-sphère coupée par une lame de géant. Maudit soit Oeklos ! ragea Lanea. L’empereur avait été un mage, autrefois. Comment avait-il pu faire subir de telles épreuves à son propre peuple ? Il payerait, la dirigeante de la résistance se l’était juré. La mort de Domiel ne resterait pas impunie.
Inutile de continuer à ruminer. Lanea avait une tâche à accomplir et peu de temps devant elle. Malgré la haine implacable qu’elle vouait à Oeklos, elle réalisait qu’il n’avait peut être lui aussi été qu’un pion. L’empereur était-il une simple pièce dans un jeu joué par une entité bien plus dangereuse que lui ? C’était là la véritable raison de la présence de Lanea dans les ruines de Dafakin. Il était vital qu’elle sache ce qu’était réellement Erû. Si le message de Djashim disait vrai, le véritable danger était bien plus grand que ce qu’elle avait imaginer. Le pouvoir dont pouvait disposer une telle machine était presque inimaginable. Il fallait en savoir plus. Et où trouver une preuve de son existence ailleurs que dans le Noyau ? Si seulement une partie des données étaient intactes…
Un tas de décombres bloquait la porte du bâtiment. Pas le choix. Lanea prit son courage à deux mains et entreprit d’en dégager une partie afin de se ménager un passage. Cette tâche lui prit une bonne demi-heure. Elle réussit malgré tout à creuser un mini tunnel dans lequel elle se faufila.
L’édifice était en grande partie exposé à ciel ouvert, et ce qui restait était recouvert de décombres. Des salles entières se trouvaient enfouies sous les gravats. Lanea priait pour le Noyau ne fût pas dans l’une d’elle. Elle marchait prudemment, tentant de se repérer dans ce dédale sans queue ni tête. Elle sentit quelque chose craquer sous ses pieds. Elle baissa les yeux et constata, horreur, qu’il s’agissait d’un tibia humain. Passé le premier choc, elle continua, tentant d’oublier ce qu’elle venait de voir. La présence de la mort commençait à peser sur toutes ses pensées.
La jeune femme finit par arriver devant un escalier se situant à peu près au centre du bâtiment. Il semblait intact et conduisait visiblement au sous-sol. Lanea descendit sans hésiter. Le temps pressait. Et puis il semblait logique que le Noyau se trouvât au au milieu du bâtiment.
Au moment où elle posait le pied sur la cinquième marche, celle-ci se déroba sous ses pieds. N’ayant aucune prise à laquelle se raccrocher, Labea dégringola de tout son long, pendant ce qui lui parut être des siècles.
Elle finit par s’arrêter en bas de l’escalier, allongée par terre, le visage et le corps couverts de poussière et de bleus. Elle se releva péniblement, toussant et jurant. Elle avait mal partout, mais n’avait heureusement rien de cassé. Elle se frotta les yeux et regarda autour d’elle. Elle était dans le noir le plus total. Elle alluma sa lampe torche, héritage de Domiel. Elle se trouvait dans une pièce à la forme tout aussi dodécaédrique que le bâtiment qui la contenait. Les architectes qui avaient conçu Dafakin étaient manifestement de grands fanatiques de la géométrie et des fractales.
Les murs de la salle étaient couverts d’écrans brisés dont les débris recouvraient le sol. Pourtant Lanea sourit devant cette destruction. Il n’y avait aucun doute. Elle était dans le Noyau. Elle prit un petit moment pour s’imprégner de l’atmosphère du lieu.
Elle remarqua alors une console qui semblait moins abimée que les autres. Elle s’en approcha et ouvrit son sac, s’emparant de la petite batterie que lui avait confiée Erûciel. Plusieurs agents de la résistance étaient morts pour qu’elle puisse mettre la main sur ce petit cube d’énergie. Il n’y avait plus qu’à espérer que leur sacrifice n’ait pas été vain.
Elle plaça le cube sur la console. L’instant de vérité était venu.
Rien ne se passa.
Lanea jura. C’était impossible ! Tout ça pour rien ! De rage, elle frappa du poing sur le petit bureau qui servait de support à la console. Comme pour protester contre cette violence inappropriée, un écran s’alluma, affichant en runique :
Système de récupération de données.
Démarrage en cours...