Equilibre (1)
Par Alexandre Vaughan
Les flocons de neige dure portés par le vent venaient piquer les joues de Lanea, en dépit de l’épais foulard qui protégeait son visage. Difficile, en regardant l’étendue désolée perdue sous les nuages de l’Hiver sans Fin, d’imaginer que cinq ans auparavant cet endroit avait été une plaine luxuriante, entourant la cité de Dafakin, capitale du Royaume des Mages. La lave refroidie et la glace avaient tout recouvert d’un manteau à la fois lisse et rugueux.
Lanea se mit à frissonner sous sa pelisse, une réaction qui n’était pas due uniquement au froid. La jeune femme revoyait dans son esprit les routes couvertes de véhicules conduisant au dôme majestueux qui protégeait l’antique cité. Il n’en restait plus à présent qu’un squelette démembré, barres de métal solitaires se détachant à peine sur le ciel sombre.
La jeune femme jeta un regard derrière elle. Personne ne la suivait. Parfait. Il ne fallait pas qu’elle se fasse repérer. Oeklos avait formellement interdit l’accès à l’ancienne cité des mages et la dernière chose que voulait Lanea était d’attirer l’attention sur elle.
Elle n’avait pourtant pas vraiment le choix. Ce qu’elle espérait découvrir dans les ruines de Dafakin avait le potentiel de changer bien des choses. Le destin de son mouvement de résistance, et peut-être même du monde, en dépendait.
Lanea se reprit. Elle devenait dramatique… Sûrement ce satané panorama. Elle devait se concentrer sur son objectif. Tout ce qu’elle cherchait à faire depuis plus de quatre ans était peut-être à portée de main. Elle rêvait de rendre la monnaie de sa pièce à Oeklos. Elle ne trouverait la paix lorsqu’elle aurait vengé Domiel et que l’empereur serait mort à ses pieds ! Ce qui s’était passé en Sorûen, rapporté par Djashim dans son message codé, lui avait redonné l’espoir.
Elle ne pouvait pas ignorer l’histoire de cet Aridel. L’homme prétendait avoir rencontré Erû, qui lui avait révélé n’être qu’une machine, une intelligence artificielle créée par les Anciens. C’était tellement incroyable que ça en devenait plausible. Ça expliquait en tout cas beaucoup de choses. C’était Erû la véritable source du pouvoir d’Oeklos. Il avait donné le contrôle de satellites de combat à l’Empereur. Et s’il fallait en croire Djashim, il avait fourni à Aridel ce même pouvoir. Il fallait donc absolument que Lanea en apprenne plus sur ces satellites. Elle se rappelait avoir lu des informations là dessus dans les ouvrages des Erûblûnen, les mages gardiens du savoir. Elle n’était alors qu’une simple étudiante à l’université de Dafakin et n’y avait guère prêté attention. Elle allait devoir rattraper son erreur.
Ce qui piquait le plus la curiosité de Lanea, cependant, était de comprendre à quel jeu jouait Erû, s’il s’agissait réellement d’une machine. Pourquoi avoir aidé Oeklos à réduire à l’état de glaçon la moitié du monde et à fonder son empire, si c’était pour le détruire ensuite ? Quelle était la raison pour laquelle l’entité leur venait en aide maintenant ? Quel jeu jouait donc ce faux dieu ? Etait-ce un plan pour mener les hommes et les Sorcami à leur destruction finale ? Ce n’était pas exclu, et Lanea devait en apprendre plus à son sujet pour mesurer l’ampleur du danger, d’où sa présence dans les ruines de Dafakin.
Le progression de la jeune femme devenait de plus en plus difficile à mesure qu’elle s’approchait des restes du dôme. Les débris figés par la lave ressortaient du sol aux endroits les plus improbables, cachés par la neige. Lanea trébucha plusieurs fois avant d’arriver au pied de l’enceinte.
Même à l’état de ruines, les fondations du dôme demeuraient impressionnantes. Impossible de les franchir sans trouver une porte. Lanea regarda autour d’elle et finit par apercevoir une trouée dans le mur noir de métal, de verre et de roche. Elle s’en approcha sans hésitation. Il s’agissait à n’en pas douter d’une des anciennes entrées de la ville, laissée béante par la destruction qu’avait causée l’éruption de L1.
Lanea franchit donc l’enceinte avec précaution et se retrouva dans Dafakin. Elle sentit des larmes lui monter aux yeux malgré elle en apercevant l’état de délabrement dans lequel se trouvait l’endroit où elle avait passé la majeure partie de son existence. Tant de gens, ses amis, ses connaissances, avaient péri ici, brûlés par la lave ou suffoquant sous les gaz toxiques. Maudit Oeklos ! Lanea prit une grande inspiration et se ressaisit. Ce qu’elle cherchait se trouvait au centre de la ville : l’université.
La jeune femme avançait en essayant de ne pas trop regarder autour d’elle, de peur de se laisser à nouveau envahir par ses émotions. Elle devait cependant observer un minimum ses environs pour se repérer. Elle aperçut au loin le dodécaèdre brisé du palais royal. Elle était dans la bonne direction.
On distinguait encore au sol les traces des rues, et Lanea n’eut pas trop de difficulté à trouver les ruines de l’université. Quel gâchis de voir tout ces bâtiments, le cœur du savoir de Dafashûn, inhabitables et hors d’usage.
Elle finit par s’approcher de l’un de ces édifices, qu’elle reconnaissait malgré les cendres et la neige qui le recouvraient. Tout comme le palais royal, il avait la forme d’un dodécaèdre. Aucun doute possible : c’était le centre administratif de l’université. Et en son sein se trouvait la destination de Lanea : le Noyau.