Résurrection (3)
Par Alexandre Vaughan
Pendant un moment, Aridel crut être devenu aveugle. Le blanc éclatant qui avait rempli son champ de vision s’était transformé en ténèbres impénétrables. C’était comme si toute lumière avait disparu du monde. Il cligna des yeux et vit apparaître à la périphérie de sa vision une série de glyphes runiques défilant rapidement. Il se rendit compte qu’il était dans l’armure, visière baissée, et les symboles s’inscrivaient en surbrillance sur le casque. Il s’agissait d’une série de chiffres sans queue ni tête, mais ils étaient la seule source de lumière que distinguaient les yeux d’Aridel.
L’ex-mercenaire essaya de bouger le bras et il constata avec surprise qu’il se déplaçait aussi facilement que s’il ne portait rien sur lui. Il portait une armure intégrale, et pourtant elle ne pesait rien. Comment était-ce possible?
Une phrase vint remplacer les nombres défilants :
Séquence de démarrage terminée.
Une seconde plus tard, un flot lumineux vint inonder la visière, et Aridel ne put réprimer un hoquet de surprise. Il n’était plus dans Dalhin.
Il tourna la tête d’un coté et de l’autre pour mieux appréhender l’endroit où il se trouvait maintenant. Il se tenait au sommet d’une tour, sur les remparts d’une forteresse visiblement assiégée. En dessous de lui se trouvait une cité en proie aux flammes, et au delà, la forme sombre de l’océan. Il faisait nuit, mais Aridel y voyait presque comme en plein jour. Était-ce un effet de la magie de son armure, ou simplement le feu en contrebas ?
Une série d’éclairs lumineux vinrent à ce moment ponctuer ce panorama inquiétant. Impossible de s’y méprendre, surtout pour un vétéran expérimenté comme Aridel. Il s’agissait de tirs d’artillerie. Voilà qui lui ôtait tout doute sur le fait qu’il se trouvait bien au milieu d’un siège. Erû avait tenu sa parole et l’avait transporté à Samar, où une bataille était visiblement en cours. Mais qui étaient les belligérants, et où exactement avait-il été déposé ? Dans une forteresse impériale ? Ce n’était pas le plus urgent, se dit alors Aridel. Il était exposé sur cette tour, et il fallait absolument qu’il bouge s’il voulait éviter de se retrouver sur le chemin d’un boulet, armure magique ou non.
Il se retourna et constata avec surprise que trois hommes étaient en train de l’observer. Ils portaient l’uniforme noir des légions de l’Empire. Voilà qui répondait à la question de l’ex mercenaire. Il était visiblement derrière les lignes ennemies. Sa situation était décidément bien précaire.
Les légionnaires semblaient terrifiés par l’apparition d’Aridel. Était-ce l’armure qui leur faisait peur à ce point ? Le soldat en lui avait dû mal à imaginer à quoi il pouvait ressembler aux yeux de ces hommes. Il leva la main en signe d’apaisement, et l’un d’eux pointa sa lance d’un air menaçant, lâchant une phrase en Sorûeni. Aridel, ne sachant que faire, répondit en Dûeni :
- Je ne suis pas armé.
Le soldat l’ignora, continuant à s’approcher malgré sa terreur. Lorsqu’il fut à portée de bras d’Aridel, l’ex-mercenaire se saisit de sa lance dans l’intention de lui arracher des mains. Cependant, lorsqu’il amorça son mouvement de torsion, il constata avec surprise qu’il venait de soulever sans effort le légionnaire, avec son arme. Il ne maitrisa pas encore la puissance de son armure, et envoya malencontreusement l’homme dans le vide, par dessus les remparts de la tour.
Les événements se précipitèrent alors, et Aridel dut réagir à l’instinct. Les deux autres soldats se jetèrent sur lui, tentant de venger la mort de leur camarade. Aridel balaya le premier d’un revers de bras, l’envoyant rejoindre son infortuné compagnon. Le second subit un sort plus terrible encore : Aridel enfonça littéralement son poing au travers de la tête du malheureux. Il retira immédiatement son bras de l’amas de chair, d’os et de cervelle qu’était devenu le visage du légionnaire, horrifié par ce qu’il venait de faire. Comment était-ce possible ? Il fallait qu’il…
Un point rouge se mit soudain à clignoter sur la visière. Une phrase s’inscrivit :
Tir satellite en préparation.
Passage automatique en mode contrôle…
Une carte de la ville de Samar vint alors emplir son champ de vision. Un gros point rouge y était placé. Aridel n’eut aucun mal à comprendre de quoi il s’agissait. Les explications d’Erû étaient encore fraîches dans sa mémoire. Il avait devant les yeux système conçu pour contrôler ou dévier le rayon d’Oeklos. Le point rouge indiquait où l’arme était censée frapper. Pas de temps à perdre, il fallait détourner le tir. Mais comment ?
Aridel tenta de se saisir du point rouge en plaçant sa main devant lui. A sa grande surprise, cela fonctionna. Il sentit une résistance, comme s’il s’était emparé d’un objet réel. Il déplaça alors le point à un endroit hors de la cité, loin de toute habitation.
Nouvelles coordonnées confirmées.
Tir prévu dans moins d’une minute.
indiqua l’armure. La carte disparut et Aridel se figea, réalisant tout d’un coup la portée de ce qu’il venait d’accomplir. Il avait pour la première fois contré la source du pouvoir d’Oeklos. L’espoir d’Imela venait de se réaliser par ce simple geste…
A l’est, le ciel se fendit alors, laissant le passage à un rayon lumineux qui vint frapper le sol. Une détonation terrifiante parvint peu de temps après aux oreilles d’Aridel. L’ex-mercenaire exultait. Le rayon avait bien frappé à l’endroit qu’il avait indiqué, loin de la ville ! Il avait réussi.
Il resta ainsi un long moment, pris dans sa propre euphorie, en oubliant presque la situation dans laquelle il se trouvait. Un bruit vint alors le rappeler à la réalité. Il vit apparaître, montant un escalier en pierre, une dizaine de légionnaires impériaux, entourant un officier accompagné d’un civil et d’une jeune femme. Aridel s’apprêtait à se battre, mais il s’interrompit. Le visage de l’officier lui paraissait familier. Était-ce … C’était impossible ! Et pourtant…
- Djashim ? demanda-t’il