Résurrection (2)
Par Alexandre Vaughan
C’était le chaos. Des soldats couraient dans tous les sens, passant sans but d’un côté à l’autre des remparts. Les ordres que leur aboyaient les officiers étaient pour la plupart contradictoires, ajoutant à la confusion ambiante. Le bruit des tirs d’arquebuses et des mortiers en contrebas de la forteresse achevaient de transformer les remparts en un véritable enfer. Et c’était sans parler des boulets qui retombaient au hasard sur les infortunés assiégés, ne manquant pratiquement jamais de faire quelques victimes.
Djashim observait ce débâcle, se rendant compte qu’il avait perdu le contrôle de la situation. Il sentait le poids de sa jeunesse et de son inexpérience. Rien n’aurait pu le préparer à l’anarchie que représentait une bataille de cette ampleur, pas même ses expériences traumatisantes au service d’Oeklos. Il savait qu’il avait été promu par l’empereur non pas pour ses qualités de commandement, mais pour sa prétendue loyauté, et il subissait maintenant le plein fouet les conséquences de ce choix.
Qui aurait pu supposer que la rébellion Sorûeni était si bien équipée ? Ce qui avait commencé comme une simple révolte urbaine était devenu un véritable siège. Djashim n’avait pas assez de contrôle sur ses officiers et ses troupes pour y faire face convenablement. Et surtout, il ignorait s’il en avait réellement la volonté… Le nombre de blessés et de morts s’accumulait, et à certains endroits, les remparts étaient rouges du sang des victimes. Ce triste spectacle était presque insupportable, et Djashim devait par moment faire appel à toute sa volonté pour contenir ses haut-le-cœur. Il admirait la contenance du sergent Norim, qui restait impassible devant le carnage. L’homme ne ressentait-il aucune émotion ?
Le jeune général tourna les yeux vers la cour de la forteresse. Là aussi, le pilonnage avait fait des ravages. La cour était couverte de cratères et des boulets qui les avaient creusé, et on apercevait les corps des malheureux qui n’avaient pas pu se mettre à l’abri à temps.
Satanés mortiers ! Il fallait que Djashim trouve un moyen de les faire taire. Ils étaient cependant hors de portée des arquebuses, et seule l’artillerie de campagne aurait pu les atteindre. Impossible cependant de transporter ces lourds canons sur les remparts… Les options du jeune général devenaient de plus en plus limitées. Il n’allait bientôt plus lui rester qu’une solution, celle à laquelle il n’arrivait pas à se résoudre. Pas tant qu’il existait au moins une autre possibilité !
Un soldat s’approcha de Norim, le visage couvert de sang. Son regard était celui d’un homme qui avait vu les pires horreurs.
- Sergent, général, dit-il péniblement. Je suis envoyé par le capitaine Rûlan.
Djashim s’approcha instantanément lorsqu’il entendit le nom. C’était l’officier qu’il avait chargé de mener une sortie afin de détruire les mortiers.
- Quelles nouvelles, soldat ? demanda-t’il impatiemment.
- Les rebelles nous attendaient en embuscade, général, rapporta l’homme, essuyant un peu de sang qui s’était accumulé dans sa bouche. Nous avons perdu la moitié de nos effectifs avant même d’arriver aux pièces d’artillerie. Le capitaine nous a ordonné de battre en retraite.
Djashim ne put s’empêcher de lâcher un juron. Avec cet assaut raté s’envolait son dernier espoir de venir à bout des mortiers de manière conventionnelle. Il était maintenant dos au mur. Le jeune général se sentit envahir par la frustration. Quelle situation absurde ! Comment pouvait-il envisager de faire appel au rayon d’Oeklos pour éliminer des hommes et des femmes qui étaient en réalité ses alliés ? C’était tout bonnement inimaginable. Et pourtant il n’avait pas le choix.
Djashim essaya de se convaincre que s’il parvenait à accomplir sa mission pour Lanea, les vies perdues ici ne le seraient pas en vain. C’était cependant une bien piètre consolation face à l’atrocité qu’il s’apprêtait à commettre, et son esprit se rebellait. Il finit par se tourner vers Norim.
- Sergent, accompagnez moi à mes quartiers. Je dois rejoindre le miroir.
Le sous-officier inclina la tête, comprenant ce qu’impliquaient ces propos. Djashim descendit alors l’escalier menant à ses appartements, la mort dans l’âme, Norim sur les talons. Le pilonnage continuait, venant ponctuer le noir de ses pensées.
La chambre de Djashim était dans le même état qu’à son arrivée, une éternité auparavant. Le seul petit “détail” qui avait changé était le gigantesque miroir, au fond de la pièce. Djashim s’en approcha sans attendre. Il ne voulait pas tergiverser plus longtemps. Il fallait le faire.
Le jeune général découvrit l’objet, et appuya sur le symbole runique qu’y avait apposé Oeklos, et qui clignotait toujours. Le miroir se brouilla, puis afficha la carte de Samar. Il ne fallait pas être grand sorcier pour deviner ce qu’il y avait à faire. Djashim n’avait qu’à toucher du doigt l’endroit où devait tomber le rayon. Il repéra l’endroit où se trouvait la plus grosse concentration de mortiers et le miroir s’assombrit, affichant un texte en runique.
Autorisation en cours…
Il fallut quelques minutes pour que le texte change.
Cible acceptée. Reconfiguration des satellites. Impact dans 4 minutes…
Le mal était fait. Il n’y avait plus rien d’autre à faire, à présent. Le jeune général s’assit par terre, se prenant la tête entre les mains.
La porte de ses appartements s’ouvrit alors soudainement, et Djashim aperçut avec surprise apparaitre le visage de Taric, accompagné d’Ayrîa.