Mort (2)
Par Alexandre Vaughan
Aridel se réveilla en sursaut, envahi par un sentiment d’oppression qui semblait l’avoir suivi depuis son rêve. Il ouvrit les yeux et tourna la tête. Imela dormait à coté de lui. La jeune femme semblait prise dans ses propres songes, ses yeux bougeant rapidement sous ses paupières. La main gantée de la capitaine était posée sur le sac qui contenait l’orbe des Anciens, dans un geste protecteur.
La pierre des Rêve méritait mal, ou trop bien, son nom. Depuis qu’ils l’avaient en leur possession, le sommeil d’Aridel s’était troublé, devenant de plus en plus agité. Il était la proie de visions étranges et inquiétantes, comme si quelqu’un essayait de lui parler. Etait-ce la pierre, ou tout simplement son sentiment de culpabilité face à l’abandon d’Omirelhen ? Aridel avait failli à sa tâche. Il n’avait pas réusii a tenir ses promesses envers son père et à son frère. Et pour couronner le tout, sa sœur Delia avait fait de son royaume une simple annexe du Nouvel Empire d’Oeklos. Aridel ne pouvait s’empêcher de revoir le passé, se demandant ce qu’il aurait pu faire pour empêcher ce destin de se réaliser. Peut-être aurait-il dû déclencher une guerre civile ? Obtenir la victoire ou mourir avec honneur ? Mais il luttait contre l’idée d’envoyer d’autres personnes à la mort en son nom. C’était ce dilemme qui le torturait depuis de longs mois et auquel il n’avait trouvé aucune autre solution que celle de plonger dans l’alcool.
Ressassant ces sombres pensées, il savait qu’il n’arriverait pas à se rendormir. Obéissant alors à une soudaine impulsion, il prit des mains d’Imela la sacoche contenant l’orbe. C’était cet objet qui les avait amenés ici, aux confins du monde. Cette quête avait couté la vie à plusieurs d’entre eux, y compris le jeune Orin. Et tout ça pour quoi ?
Aridel, la sacoche dans les mains, se leva et sortit de la tente, l’air gelé venant mordre ses joues. Il n’aurait rien tant souhaité que de jeter la pierre des rêves le plus loin possible. Pourtant il ne pouvait pas, quelque chose l’en empêchait, comme si une volonté se superposait à la sienne. Il ouvrit la sacoche. L’orbe brillait d’un éclat insoutenable. Elle semblait presque douée de vie, et d’une volonté propre. Levant les yeux, l’ex-mercenaire remarqua une lumière rouge qui éclairait la montagne, en écho aux pulsations de la pierre. Sa source était cependant bien loin de l’endroit où ils se trouvaient. Qu’est ce que cela pouvait-être ?
Poussé par la curiosité, Aridel se mit à marcher en direction de la lueur, s’éloignant du campement. Ses compagnons de voyage dormaient tous, récupérant de la longue marche dans le froid. Nul besoin de monter la garde ici, aucune bête sauvage ou homme n’était assez fou pour s’aventurer sur cette banquise désolée. L’ex-mercenaire marcha pendant une vingtaine de minutes, suivant un sentier escarpé à flanc de montagne. Ses pieds glissèrent plusieurs fois sur la roche friable, et il dut s’accrocher, s’égratignant les mains, pour ne pas tomber dans le vide. Il continua cependant, au mépris de toute raison, guidé par une force qui le dépassait.
Il finit par arriver à la source de la lumière. Elle se trouvait dans la paroi d’un glacier, perché sur le flanc de la montagne. Au pied de cette paroi se trouvait une alcôve lisse, au dessin presque naturel, baignée par la lueur rouge. Sans cette lumière, nul n’aurait pu se douter qu’il y avait un quelconque intérêt à cet endroit. Aridel s’approcha de l’alcôve, cherchant à comprendre ce qui produisait la lumière. Dans sa sacoche, l’orbe se mit à luire d’une lueur si intense qu’elle passait entre les mailles du tissu grossier. Lorsque l’ex-mercenaire fut à moins de deux toises du glacier, la paroi se recouvrit soudainement de runes gravées en lettres de feu :
PIRONAL - INGAT
Les mêmes mots que ceux qui étaient inscrit sur la tablette d’Imela. Cela signifiait-il qu’il avait atteint les portes de Dalhin ? Aridel avait du mal à y croire. Et pourtant… N’y tenant plus, il sortit l’orbe de sa sacoche. Sa surface était lisse et froide, malgré la lumière intense qui s’en dégageait. La paroi réagit instantanément à la présence de l’objet, et une ouverture circulaire se dessina près de l’alcôve. Pas besoin d’être un grand mage pour deviner qu’il s’agissait là d’une serrure dont l’orbe était la clé. Aridel hésita, pris de doute. N’aurait-il pas dû prévenir Imela ? C’était elle qui avait rendu ce qu’il s’apprêtait à faire possible.
Ces pensées se brouillèrent dans sa tête, s’estompant progressivement. Plus rien ne comptait que l’orbe et la serrure. Aridel tendit le bras et posa délicatement la pierre dans l’ouverture. Il ressentit alors une vive douleur à l’index, comme si quelque insecte l’avait piqué. Il retira immédiatement sa main, laissant l’orbe dans la serrure. Son gant était déchiré, et une petite goutte de sang perlait de son doigt. Une nouvelle inscription runique s’afficha sous la serrure. Elle était écrite en ancien blûnen, mais les mots ressemblaient assez au Dûeni pour qu’Aridel puisse en déchiffrer certains :
Code ??? en cours d’analyse…
Code ??? reconnu.
Utilisateur authentifié.
Clé acceptée.
Ouverture en cours…
Un grondement sourd fit vibrer le sol, et la paroi de glace se fendit au niveau de l’alcôve. L’ouverture ainsi créée se fit de plus en plus grande. Une porte ! Les légendes et la vision d’Imela étaient donc vraies ? Plus de doute possible. Il avait sûrement devant lui l’entrée de Dalhin, la cité céleste, l’endroit où résidait le pouvoir d’Erû, s’il fallait en croire les écrits. Aridel ne pouvait plus s’arrêter à présent. Il franchit le seuil de la porte sans hésitation.
Il se retrouva à l’intérieur d’une pièce circulaire, sans aucune autre issue que la porte se refermant derrière lui. En face de lui, le mur s’illumina, affichant une nouvelle séquence de runes.
Démarrage de la procédure…
Coordonnées préselectionnées.
Test de l’intrication… Validé.
Synchronisation des champs ???
Téléportation dans : 10.
Le dernier chiffre se mit à décroitre.
8. 7.
Aridel se passa la main sur le front.
5. 4.
C’était le point de non-retour
0.