Nord (6)
Par Alexandre Vaughan
Imela, assise sur un rocher, observait ses compagnons. Tous étaient mentalement et physiquement épuisés. Leur traversée sous la montagne avait été une dure épreuve, à plus d’un titre. La mort de Melnir, l’un de ses hommes les plus loyaux, avait marqué la jeune femme. Elle conservait son apparence impassible, mais des émotions contradictoires la minaient intérieurement. Elle n’oubliait pas non plus Sachël, qui s’était sacrifié pour les voyageurs. Sans le Nain, ils seraient tous certainement morts à l’heure qu’il est, dévorés par ces vers terrifiants.
La capitaine du Fléau des Mers savait que le doute s’était emparé de ses compagnons. Pourtant, paradoxalement, elle n’avait jamais été aussi sûre d’elle. Son chemin était tracé, et la vision que lui avait procuré l’Orbe lui donnait une assurance presque surhumaine. C’était comme si une force surnaturelle la poussait à continuer. Elle savait où elle devait aller. Jamais son destin n’avait été aussi clair. Malgré tout, elle était consciente des sacrifices qu’elle allait encore devoir demander à ses compagnons. Si elle voulait rejoindre les portes de Dalhin, ils allaient devoir traverser les terribles glaces du Nord.
La jeune femme porta son regard sur les flammes du petit feu qu’ils s’étaient autorisés à allumer, bravant le risque de se faire repérer. Ils avaient installé leur camp à l’abri du vent, derrière une paroi rocheuse. Les tentes étaient placées en cercle autour du foyer et tous s’étaient assis à coté, consommant un maigre repas de viande séchée et de biscuits. Personne ne parlait, chacun perdu dans ses pensées et mâchant en silence.
Shari rompit brusquement le silence, formulant à voix haute la question que tous sauf Imela devaient se poser :
- Où allons-nous, à présent ?
- Sachël nous a mené au Nord des Losapic, dans les Royaumes des Nains, répondit Aridel. Si nous voulons rejoindre le Fléau des Mers, ils faut que nous trouvions un passage vers le sud pour retraverser les montagnes.
- Vous oubliez l’Empire, dit un des hommes d’Imela. Nous devons faire attention aux patrouilles. Tous les passages vers le sud vont être gardés, et…
- Ce n’est pas grave car nous n’allons pas au Sud, coupa Imela.
Tous la regardèrent d’un air ébahi. Ils ne l’avaient visiblement pas prise au sérieux lorsqu’elle leur avait annoncé son intention de se rendre au Nord, pendant leur fuite sous la montagne.
- C’est de la folie, Imela, dit Shari. Il n’y a rien au Nord ! La plupart des Nains ont fui leurs terres lorsque les cendres de L1 les ont recouvertes. Certains sont même venus se réfugier jusqu’en Sûsenbal.
- Shari a raison, renchérit Aridel. Même si nous trouvons quelques avant-postes encore habités, il y a fort peu de chance que nous puissions nous y approvisionner. Et nous aventurer dans les glaces sans provisions serait du suicide, tu le sais aussi bien que moi. Notre seule solution est de retourner d’une manière ou d’une autre au Fléau des Mers.
- C’est une voie tout aussi dangereuse pour nous, répliqua Imela. Sachël ne nous a pas mené ici par hasard. Comme vous l’avez dit, le seul passage vers le Sud passe près de Setigat, et est gardé par les troupes impériales. Nous devons nous rendre aux portes de Dalhin, et elles se trouvent au Nord-Ouest d’ici. La vision que m’a procurée l’Orbe a été très claire.
- Capitaine dit alors Nisor, un de ses quartier-maîtres, je dois rejoindre l’avis du lieutenant Aridel. Nous ne sommes pas équipés pour une expédition sur la glace. Et nos provisions ne tiendrons pas plus de deux semaines, même en rationnant. Nous devons faire demi-tour.
- Pas forcément, Nisor. Même si nombre de Nains ont quitté cette région, il reste encore quelques villages habités dans les plaines de Ginûgen, comme l’a dit Aridel. Je suis certaine que nous y trouverons de quoi continuer notre chemin.
-– C’est un vœu pieux, contra Aridel. Même si nous trouvons un village, pourquoi ses habitants nous aideraient-ils ? Ils ont tout intérêt à conserver leurs réserves de nourriture. L’Hiver Sans Fin n’épargne personne…
-– Vous oubliez que je peux leur proposer une vie meilleure en échange : nous avons un navire. J’admets cependant que tu as raison Aridel, ce chemin présente une part de risque non négligeable. J’ai confiance en ce que m’a montré l’Orbe, mais je peux comprendre que vous ne partagiez pas ma foi. Vous m’avez suivi jusqu’ici, et c’est déjà beaucoup. Je ne peux pas vous forcer à risquer votre vie sur ma simple parole. Ceux d’entre vous qui préfèrent faire demi-tour peuvent partir vers le sud dès demain avec ma bénédiction. Pour ceux qui restent, je vous propose un compromis : si nous ne trouvons pas de quoi nous ravitailler d’ici deux jours, nous ferons demi-tour.
Imela marqua une pause, observant les visages de chacun. Ils étaient abattus, mais elle vit une lueur de défi dans leurs yeux. Elle reprit.
J’aimerais tout de même que tu m’accompagnes, Aridel. L’orbe semblait vouloir à tout prix que tu te rendes au Nord.
Une expression d’étonnement s’afficha sur le visage d’Aridel. Imela savait ce qu’elle lui demandait. Avait-elle réellement bien compris le message de l’Orbe ? Avait-elle le droit de forcer son amant à risquer sa vie ? Elle se répétait qu’elle n’avait pas le choix, que le sort du monde en dépendait, mais il restait toujours une part de doute. Ses pensées furent interrompues par Shari.
-– Si Aridel vous suit, je vous accompagne également, dit Shari, l’air décidé.
-– Et moi aussi dit Orin avant de se mettre à tousser. Le jeune garçon semblait malade depuis qu’ils avaient quitté les galeries souterraine, et cela inquiétait un peu Imela.
-– Nous ne sommes pas venu aussi loin pour vous abandonner, capitaine, dit alors Nisor. Vous nous avez plusieurs fois sauvés d’une mort certaine, au risque de votre vie. Nous vous suivrons pour payer cette dette.
-– Merci mes amis, répondit Imela, touchée par ces paroles. Pour l’heure, reposons nous autant que nous le pouvons, et nous partirons demain en quête d’un village. Si les cartes que je possède sont valides, il y en a un à moins de quatre lieues d’ici…
Ils acquiescèrent d’un hochement de tête, avant de terminer leur repas en silence. Tous se dirigèrent alors vers leurs tentes respectives. Aridel suivit Imela dans la sienne.
-– Tu es sûre de ce que tu veux entreprendre ? lui demanda-t’il.
-– Oui et non, répondit-elle, se sentait soudainement vulnérable. Je pense simplement que je n’ai pas le choix, et toi non plus.
-– Nous découvrirons bien ce que le sort nous réserve. En attendant, si on profitait du temps que nous avons…
Sans ajouter un mot, il se mit à l’embrasser.