Nord (4)
Par Alexandre Vaughan
La lumière rouge créée par la magie des Anciens avait disparu, et seule la petite lanterne de Sachël éclairait a présent les parois de la galerie. Le nain se trouvait en tête de la colonne que formait le petit groupe, et Shari se trouvait juste derrière lui. Elle était la seule qui parlait sa langue, et servait de liaison avec le reste des voyageurs. L’artère souterraine dans laquelle ils avançaient à présent était sombre et humide, et Shari ne pouvait s’empêcher de frissonner. Personne n’osait parler, de peur d’alerter les nains qui étaient à leurs trousses. Les seuls sons que l’on pouvait percevoir était le bruit de gouttes d’eaux ruisselant des stalactites.
Cela faisait deux jours qu’ils s’étaient enfuis de la cité souterraine d’Erarkin, et il leur semblait que Sachël ne faisait que les guider plus profondément au cœur de la montagne. Il connaissait visiblement ce labyrinthe comme sa poche, mais les hommes d’Imela se méfiaient de lui. Certains, très croyants, pensaient que le Nain les guidait vers les portes du Néant, où leurs âmes seraient dévorées. Shari les avait entendu murmurer entre eux lors d’une de leurs rares pauses.
La jeune femme elle-même n’était pas immune à la morosité ambiante. L’obscurité ne faisait que refléter la noirceur de ses pensées. Elle souhaitait presque que leurs poursuivants les rattrapent, pour que cette horrible épreuve se termine, d’une manière ou d’une autre. La jeune femme se sentait tout aussi impuissante que lorsqu’elle s’était retrouvée à bord du Chayschui saychil, et son moral déclinait de seconde en seconde. Derrière elle se trouvaient Aridel et Imela, tout aussi silencieux que les autres. Aridel semblait très inquiet pour son amante. Depuis qu’elle avait touché l’orbe, Imela semblait en effet s’être transformée. Elle était obsédée par l’idée d’aller au nord et de rejoindre les terres gelées. Shari savait l’effet que pouvait avoir une vision sur l’esprit, et même si le chemin que voulait suivre Imela semblait aberrant, elle ne pouvait pas ignorer ce qu’elle avait vu.
Sachël s’arrêta soudainement. Son expression devint très attentive. Il semblait écouter tous les sons de la caverne, comme si quelque chose d’inconnu se trouvait juste devant lui. Son regard était empli d’une inquiétude qui troubla Shari. La jeune femme avait cependant du mal à percevoir un son autre que la respiration de ses compagnons. Elle entendit grommeler à l’arrière. Y’avait-il…
- Courez ! cria tout d’un coup Sachël, avant de se mettre à détaler de toute la vitesse de ses petites jambes.
Shari, instantanément prise de panique, répéta son cri en Dûeni, et l’imita. Elle ne voyait rien encore, ce qui rendait le danger encore plus terrible. Elle était certaine que le nain aux oreilles averties n’aurait pas agi de cette manière pour rien. Que pouvait donc…
Derrière les voyageurs, le couloir souterrain se mit soudainement à vibrer. Shari eut l’impression que les murs bougeaient, comme s’ils étaient devenus mous et gluants. Effrayée, elle se mit à courir encore plus vite, un frisson de sueur froide se répandant le long de sa colonne vertébrale. Elle se rapprocha de Sachël et découvrit à la lumière de sa lanterne l’horreur qui les menaçait. Les parois de la galerie étaient recouvertes de vers sombres à la peau luisante, aussi gros que des serpents. Ils grouillaient littéralement, leurs formes immondes ne laissant même plus apparaitre la roche. L’un d’eux tomba sur Shari, et elle vit de près sa bouche, un orifice circulaire recouvert de dizaines de petites dents. Le vers se tortilla essayant de trouver un endroit ou mordre la jeune femme à travers ses vêtements. D’en geste de panique elle repoussa la bête et cria à Sachël.
- Erû ! Quelles sont ces horreurs ?
- Des Talefoül, répondit sobrement le nain.
Un mot que Shari ne connaissait pas, mais qui ressemblait vaguement au Setini pour sangsue. Elle n’eut cependant pas le temps de s’attarder sur l’étymologie du terme, car un des hommes d’Imela se mit à crier. Elle tourna le tête et aperçut du coin de l’oeil le malheureux, recouvert de créatures, tomber à terre.
- Ne vous arrêtez pas, cria Sachël. Au moindre faux pas, ils vous dévoreront. Courez ! Courez ! La sortie n’est pas loin.
Plus le temps de réfléchir. Shari laissa son instinct la guider dans cette course effrénée pour sa survie. Ses poumons brûlaient, mais elle continuait, puisant dans ses dernières réserves.
Sachël se mit alors à ralentir. Il attrapa le bras de Shari et lui donna sa lanterne.
- La sortie est tout droit, dit-il. Prenez la lumière, je vais bloquer les Talefoül. Cela vous laissera le temps de partir.
La jeune femme réalisa alors ce que le nain était en train de faire.
- Et vous ? demanda-t’elle
- Mon destin est accompli. J’ai obéi à la volonté des Anciens, et je peux rejoindre en paix Erû et ses Dasami.
Shari voulut protester mais elle n’en eu pas le loisir car le nain la poussa avant de partir vers l’arrière. Les larmes aux yeux, elle reprit sa course, exhortant ses compagnons à la suivre.
Au bout d’un petit moment, elle entendit une explosion sourde suivie d’un grondement. Sachël s’était sacrifié afin de faire effondrer la galerie derrière eux, bloquant à la fois les sangsues et les nains qui étaient à leur poursuite. Rongée par le chagrin et la culpabilité, Shari mit un moment à se rendre compte qu’elle courait à l’air libre. L’obscurité de la caverne avait été remplacée par celle de l’Hiver sans Fin. Ils étaient saufs, à présent.