Nord (2)
Par Alexandre Vaughan
Imela avait les yeux rivés sur l’orbe se trouvant dans la paume du nain. L’objet semblait presque vivant. Les marbrures à sa surface semblaient avoir une existence propre, comme si elles étaient animées par une énergie invisible. La jeune femme n’arrivait pas à détacher son regard de l’artéfact. Une force irrésistible la poussait vers l’orbe. La main tendue, elle franchit la distance qui la séparait de Sachël, et toucha du doigt la pierre des rêves.
Une douleur atroce lui vrilla le crâne et les yeux. La piqure de mille aiguilles perçait chacun de ses membres. Son champ de vision devint entièrement blanc. Toute couleur avait disparu… C’était à la fois terrifiant et apaisant, une sensation difficile à interpréter.
Imela poussa un cri silencieux, et le monde s’évapora.
Elle était à présent dans l’obscurité, un noir si total que même les nuages de l’Hiver Sans Fin paraissait clairs en comparaison. C’était comme si elle était coincée dans l’un de ses propres cauchemars, éveillée. Petit à petit, cependant, l’obscurité fut remplacée par une image de plus en plus nette.
Imela se trouvait à présent sur une couche de glace éclairée par les rayons du soleil. C’était presque un paysage d’un autre monde… Comment cela était-il possible ? Si elle était réellement sur la banquise, jamais elle n’aurait dû voir l’astre du jour, caché par les nuages.
Elle prit soudainement conscience d’un bourdonnement, derrière elle. Le son devint de plus en plus fort, jusqu’à en devenir assourdissant. La source en était à présent juste au dessus de sa tête. Elle leva les yeux. Trois monstrueux engins volants fendaient le ciel dans un vacarme digne des plus grandes tempêtes. Ils avaient la forme de triangles sombres se détachant parfaitement dans le ciel bleu. Leur vitesse était inimaginable, dépassant même celle des dragons des mages. Imela les vit disparaître à l’horizon.
Elle se sentit alors comme soulevée, rejoignant à son tour les hauteurs célestes. Elle flottait comme par magie, ne sentant aucunement le froid ou la puissance du vent. Soudainement, elle se retrouva au milieu des monstres de métal volant. Leurs parties supérieures étaient blanches, contrastant avec le noir du dessous. L’avant des engins était percé d’une verrière à travers laquelle Imela aperçut des hommes. Ces derniers ignoraient complètement la présence de la jeune femme, absorbés dans le pilotage de leurs ailes volantes.
Imela observa la position du soleil. Il était très bas, touchant presque l’horizon, et sa lumière tirait vers l’orange. Les trois engins semblaient se diriger droit vers lui, vers ce qu’Imela devina être le Nord-Ouest. En dessous d’eux, la banquise s’étendait à l’infini. Où donc se rendaient-ils ? Au bout d’un long moment, Imela aperçut enfin leur destination, un ilot de roche noire au milieu de la banquise.
Les engins ralentirent et se mirent à descendre en spirale vers le sol. Sur l’un des cotés de l’îlot se trouvait une paroi recouverte de glace lisse et resplendissante. Les machines semblaient se diriger droit vers elle.
Soudainement, la paroi se fendit en deux, laissant progressivement apparaître une ouverture assez grande pour laisser passer les ailes volantes. Celles-ci, ralentissant encore, y pénétrèrent, et tout redevint noir autour d’Imela.
Elle baissa alors les yeux et vit qu’elle avait été transportée à une altitude encore plus élevée, si haute qu’elle distinguait à présent la courbure de l’horizon. Elle reconnut au loin le dessin familier des côtes du nord-ouest de Sorcasard, le royaume de Ginûsilhen. La banquise s’arrêtait là, laissant place à une neige plus sombre, mêlée de roche volcanique. De l’autre coté se trouvait le petit ilot rocheux où les engins volants étaient entrés. C’était presque comme si quelque chose voulait montrer la position exacte de cet endroit à Imela. Au moment même où elle le réalisait une voix retentit, venue de nulle part :
- C’est là qu’il doit aller, Imela. Ton rôle est de le guider. Les portes de Dalhin se cachent sous la roche. Tu ne dois pas échouer dans ta mission.
- Qui êtes vous ? demanda la jeune femme, à la fois curieuse et inquiète. Son interlocuteur était totalement invisible.
- Cela n’a aucune importance, répondit la voix. La seule chose que tu dois savoir, c’est que pour faire disparaitre l’obscurité, tu dois suivre mes instructions. Tu dois l’amener au Nord.
- Qui ? Qui dois-je amener au Nord ?
- Qui ? répliqua la voix. Tu me demandes qui ? Mais qui veux-tu que ce soit d’autre que l’héritier. Son véritable trône se cache sous la roche et la glace.
La voix se tut alors, et Imela ressentit de nouveau une immense douleur. Des lumières vives illuminèrent son regard, progressivement remplacées par une lueur rouge et faible. Elle était de nouveau dans la salle des reliques des nains du Ginûfas, et une douzaine de têtes l’observaient. Aridel la tenait dans ses bras, une expression inquiète sur le visage.
- Elle revient à elle dit-il, soulagé. Imela… tu nous a fait peur. Nous avons bien cru te perdre.
La jeune capitaine répondit d’une voix pâteuse.
- L’orbe… J’ai… elle m’a montré… où nous devons aller pour rejoindre les portes de Dalhin… Le Nord…
Sachël, assis à coté d’elle, se mit soudainement à parler rapidement dans sa langue gutturale. Shari traduisit :
- Nous ne pouvons pas rester plus longtemps ici. Une patrouille ne va pas tarder à passer.
Imela se leva péniblement.
- Je… peux marcher, affirma-t’elle. Nous devons…
- Nous discuterons plus tard, coupa Shari. Il faut partir.
Elle dit deux mots à Sachël, et tous quittèrent la salle. Imela s’appuyait sur Aridel pour marcher. Elle hésitait à lui parler de ce que la voix avait dit à propos de l’héritier. Peut-être valait-il mieux attendre…
Des bruits métalliques accompagnés de cris retentirent soudain derrière le petit groupe.
- Les Nains sont derrière nous, cria alors Shari, traduisant Sachël. Courez !