Trahison (5)
Par Alexandre Vaughan
Le désespoir de Taric avait atteint son paroxysme. Il n’y avait rien à faire. Personne ne pourrait plus le protéger à présent. Il avait tenté de tromper la résistance et sa trahison s’était soldée par un échec. Ses jours étaient comptés. Il mourrait très probablement bientôt de manière violente, et si ce n’était pas le cas, le poison de Walron aurait tôt ou tard raison de lui. Lorsque le premier ministre avait découvert que les informations que Taric lui avait transmises étaient fausses, il avait brisé la fiole d’antidote devant ses yeux, et l’avait banni d’Oeklhin. “J’espère que votre mort sera lente et douloureuse” avaient été les dernières paroles de Walron à son égard. Taric avait donc dû quitter la ville à pied, mais il s’était de nouveau fait arrêter par des hommes en armes. La seule différence était que ses ravisseurs n’étaient pas cette fois des gardes impériaux, mais des agents de la résistance. Ces hommes, qui quelques jours auparavant, auraient été ses alliés, le détenaient à présent dans le froid, à quelques lieues de la forteresse.
Un traîneau s’approcha. Taric reconnut immédiatement la forme emmitouflée de la femme qui le dirigeait. Lanea. L’ex-mage déglutit. Sa fin allait peut-être arriver plus tôt que prévu.
La jeune femme s’arrêta à coté de Taric et ses deux gardes, puis sauta dans la neige, se rapprochant du prisonnier. Elle fit alors signe aux deux hommes de s’éloigner. Ceux-ci obtempérèrent après une légère hésitation, et Lanea se planta devant l’ex-mage brisé. Celui-ci, incapable de supporter son regard, baissa la tête.
- Nous avons à parler, je crois, dit simplement Lanea, ses mots comme autant de couteaux.
- Je… commença Taric.
Elle le coupa d’un geste.
- Je ne vous cache pas que je suis extrêmement déçue par vos actions, Taric. Si je n’avais pas deviné ce que vous comptiez faire, Djashim serait mort, à présent. Pourtant il a tout fait pour vous sortir de l’impasse. Que vous a donc promis Walron pour nous trahir ?
Taric n’en pouvait plus. Il n’avait plus rien à perdre à présent. Il explosa.
- La vie ! Il m’a promis la vie, Lanea ! dit-il, en larmes. Je suis empoisonné, et sans l’antidote que Walron possède je suis condamné, quoi qu’il arrive. Même si vous m’épargnez aujourd’hui, je serai mort dans quelques mois.
Pour la première fois depuis son arrivée, Lanea parut surprise.
- Empoisonné ? Vraiment ? Walron vous a-t’il dit avec quoi ?
Taric leva la tête, croisant le regard de la jeune femme pour la première fois depuis son arrivée. La curiosité semblait dominer dans ses yeux verts. L’ex-mage sentit une lueur d’espoir l’envahir. Se pouvait-il que… Il tenta de se reprendre.
- Non, répondit-il, d’un ton légèrement plus assuré. Il m’a juste affirmé que l’effet du poison était lent, et qu’il avait été conçu par la reine Delia d’Omirelhen. Je… je suis désolé Lanea. J’ai été lâche. Je ne savais pas quoi faire.
- Pourquoi n’êtes vous pas venu me voir ? Je suis médecin ! J’aurais pu vous aider.
- Je ne sais pas, marmonna-t’il se prenant la tête entre les mains. Je ne sais pas…
Le ton de Lanea se fit alors plus doux.
- Vous m’avez trahi, Taric, mais peut-être était ce simplement de la stupidité ou de la peur de votre part. Vous avez pu constater par vous-même que travailler pour Walron n’apporte que le malheur. Vous ne risquez jamais de voir son antidote, à présent.
- Je le sais, dit Taric. Je suis condamné.
- Vous êtes effectivement durement puni pour vos actes. Et au cas où vous auriez eu un doute, je ne compte pas vous donner la mort aujourd’hui. Je comptais vous exiler au Nord, mais après ce que vous venez de m’apprendre, j’ai une proposition à vous faire.
Elle sourit et s’approcha. S’emparant de la main du mage, elle lui retira son gant et pinça son doigt avec une aiguille, faisant couler quelques gouttes de sang qu’elle plaça dans une fiole. Elle se releva alors et parla d’une voix ferme.
- Vous avez été un bon agent, et je peux encore faire usage de vos services. Je vais donc vous renouveler le marché de Walron. Je m’engage à essayer de trouver l’antidote au poison qui vous ronge, mais vous allez devoir m’aider en échange.
Taric ne cacha pas sa surprise.
- Vous aider ? Mais comment pouvez-vous encore me faire confiance ?
- Je pense que vous êtes capable d’apprendre de vos erreurs. Et puis, je dispose à présent d’un très bon moyen de pression sur vous. Plus important encore, je suis certaine que vous détestez l’Empire autant que moi. Si vous vous étiez complètement soumis, vous auriez donné mon nom à Walron, ce qui n’est pas le cas. Sans parler du fait que le nombre d’agents de la résistance est limité, et les circonstances me forcent à utiliser tous les moyens à ma disposition. Je suis donc prête à vous donner une seconde chance.
Taric balbutia :
- Qu’a… Qu’attendez-vous de moi ?
- Vous l’ignorez probablement, mais suite à vos actions, Oeklos a décidé d’exiler Djashim en Sorûen. Le général Friwinsûn a été éliminé par la résistance Sorûeni, et Djashim est son remplaçant. C’est un contretemps terrible pour mes plans, mais cela peut nous offrir des opportunités cachées. La résistance Sorûeni est puissante, et très secrète. Si nous parvenons à la contacter, nous pourrons peut-être coordonner nos actions, et former un noyau intercontinental, capable de tenir tête à l’empire à grande échelle. Djashim est cependant trop étroitement surveillé pour proposer une telle alliance. J’ai donc besoin d’un agent en Sorûen, et je pense que vous ferez l’affaire. Vous y avez déjà été, si je me rappelle bien.
- Oui j’y ai voyagé il y a très longtemps, bien avant l’Hiver Sans Fin. Le pays a dû beaucoup changer depuis… Quelle sera exactement ma mission ? Taric avait retrouvé une partie de son professionnalisme.
- Elle sera double. Vous devrez dans un premier temps servir d’intermédiaire entre Djashim et moi même. Vous serez chargé de lui transmettre mes ordres et de m’envoyer ses rapports de manière discrète. Nous avons le soutien du capitaine d’un des navires de ravitaillement qui voyage entre Sorûen et Lanerbal. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Comme je le disais, votre objectif principal est de rentrer en contact avec la résistance Sorûeni et de leur proposer une alliance. Acceptez-vous de m’aider ?
Taric n’eut pas à réfléchir très longtemps.
- Si je peux me racheter auprès de vous, je le ferai, dit-il.
- Très bien, dit Lanea. Rendez vous à Dafamar, où vous recevrez de nouvelles instructions, et peut-être aurais-je d’ici là trouvé comment atténuer les effets de votre poison. Je ne peux m’attarder plus longtemps, mais nous serons très bientôt en contact.
La jeune femme fit signe aux gardes, et leur donna quelques instructions. Elle remonta alors promptement sur son traineau et s’en alla comme elle était venue, laissant derrière elle un homme plein d’espoir.