Douleur (5)
Par Alexandre Vaughan
Taric faisait les cent pas dans sa cellule. Dans ses pensées, l’espoir se mêlait à la peur. La présence de Djashim à la tête de la Garde impériale était inespérée, mais Taric savait que les options du jeune général étaient limitées. Il avait bien sûr deviné la présence de Lanea derrière cette opération d’infiltration au sommet de l’empire. Malgré toute l’affection que le mage portait à la dirigeante de la résistance, il connaissait sa façon de fonctionner. Lanea ne perdait jamais de vue son objectif, et elle était prête à tout pour arriver à ses fins. Elle avait un sens aigu du sacrifice, et si elle devait choisir entre Taric et Djashim, il était facile de deviner sa décision. Malgré tout, elle et Djashim constituaient le seul espoir de Taric de sortir vivant de sa situation. Si seulement …
La porte s’ouvrit soudainement, laissant apparaître un homme mince aux traits sévères et cruels. Il était assez âgé, et Taric reconnut immédiatement en lui Walron, le premier ministre d’Oeklos, celui qui, disait-on était plus brutal que l’empereur lui même. C’était Walron qui faisait appliquer les plus infâmes décrets impériaux. Il en était d’alleurs très souvent à l’origine…
Taric se mit à trembler malgré lui. C’en était fini de lui. Si le premier ministre lui rendait personnellement visite, il ne résisterait pas bien longtemps aux tortures qu’il pourrait inventer…
- Taric Abelarc, dit Walron d’une voix désagréable. Je n’ai pas besoin de me présenter, je suppose.
- Non votre excellence, je…
- Vous avez commis l’un des crimes les plus graves qui existent envers la couronne impériale, coupa le premier ministre sans ménagement. L’empereur ne tolère pas la trahison. La peine pour un tel acte est la mort.
Walron marqua une pause, laissant à Taric le temps de contempler toutes les implications de sa dernière phrase. L’ex-mage sentit quelque chose se briser en lui. Jamais il n’avait contemplé la fin de son existence de si près. Il dut se retenir pour ne pas tomber à terre.
- Vous avez cependant une possibilité exceptionnelle de sursis, reprit alors Walron. Le commandant de la Garde Impériale a cru bon d’intercéder en votre faveur. Il prétend que vous pourriez nous être utile en tant qu’agent double. Personnellement vous n’êtes pour moi qu’un misérable pour lequel une mort rapide serait trop douce…
Une nouvelle pause. Taric sentait des gouttes de sueur froide lui perler dans le dos. Walron reprit :
L’intérêt que vous porte le général a cependant attiré mon attention. Je n’apprécie pas particulièrement le fait que l’empereur ait confié un si grand pouvoir à quelqu’un d’aussi jeune, dont le passé est plus que trouble. Il a prouvé sa loyauté à son altesse impériale, mais jsuis beacoup moins convaincu. Et c’est là que vous allez m’aider, du moins si vous voulez vivre.
Taric eut du mal à cacher sa surprise. La curiosité éclipsa même temporairement sa terreur. Le premier ministre avait besoin de son aide ? De quoi voulait-il donc parler ?
- Vous avez l’air étonné, vermisseau. Ne croyez cependant pas que vous m’êtes indispensable ! Ce que j’attends de vous est très simple. Je sais que le général nous cache quelque chose. Il a visité des lieux où il n’avait rien à faire, et il s’absente parfois sans raison. J’en viens même à me demander s’il ne fait pas partie de votre mouvement de résistance. Cela me parait cependant douteux, étant donné qu’il est devenu officier en faisant arrêter l’un des vôtres, un dénommé Delan, si je me rappelle bien…
Taric retint un hoquet de surprise. Delan ! Impossible ! Delan avait été l’un de ses meilleurs amis lorsqu’il était rentré dans la résistance. Taric avait beaucoup souffert de sa mort, mais Lanea avait toujours refuser de lui en expliquer les circonstances exactes. Il avait cru que c’était pour ménager ses sentiments, mais il s’était visiblement fourvoyé. Il comprenait maintenant ce qui s’était réellement passé. Lanea avait sacrifié Delan pour permettre à Djashim d’accomplir sa mission. Cela en disait long sur la nature impitoyable de la jeune femme. Pourtant même cette trahison entachait à peine ce que ressentait Taric pour elle.
- Vous ne le saviez pas, à ce que je vois. Cela devrait vous aider à voir que malgré ses assurances, le général n’est pas là pour vous sauver la vie. Et si vous voulez vous venger, il vous suffit de m’aider à le discréditer. L’empereur le considère pour l’instant comme son protégé, mais cela peut vite changer. Vous allez donc m’apporter les preuves dont j’ai besoin.
Taric déglutit. Malgré ce qu’il venait d’apprendre, il n’était pas particulièrement enclin à trahir Lanea. Il n’allait pas servir les noirs dessein d’un homme qui avait encore moins de considération qu’elle pour la vie humaine. Prenant son courage à deux mains, il répondit d’un ton de défi au premier ministre.
- Contrairement à ce que vous pouvez pensez je ne me laisse pas facilement acheter. Je ne vois pas pourquoi je vous aiderais. Et en plus, si je discrédite la seule personne qui souhaite me voir vivant, je signe mon arrêt de mort.
Walron ricana.
- Votre arrêt de mort est déjà signé si vous ne m’aidez pas.
Il sortit une fiole de sa tunique.
Je me suis arrangé pour que cette substance se trouve dans le nourriture que vous avalez depuis votre arrivée. C’est un poison dont l’effet est extrêmement lent et il faut plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour que ses symptômes deviennent visibles. C’est une invention de la reine Delia d’Omirelhen, et je dois avouer qu’elle a surpassé les mages dans leur maîtrise de la chimie… Walron sortit alors une autre fiole. Il existe cependant un antidote que voici, et dont très peu connaissent la composition. Mais je suis prêt à vous le donner, le jour où vous me fournirez la preuve de la duplicité du général. Le choix est donc entièrement vôtre : la mort ou la trahison.
Taric s’assit, abasourdi… Il était donc déjà en sursis. Et le dilemme qui lui était présenté était proprement horrible. Mais au fond de lui, il savait qu’il tenait trop à la vie pour faire le choix honorable. Et après ce qu’il avait appris sur Delan…
- Qu’attendez-vous exactement de moi ? finit-il par demander.
- Oh pas grand chose dans un premier temps. Faites ce que le général attend de vous. Et rapportez moi tous ses actes. Enfin si vous tenez à votre méprisable vie bien sûr.
Taric se passa la main sur le front. Il était loin d’avoir l’étoffe d’un héros, pourtant le choix qu’il venait de faire l’emplissait de culpabilité. Il ne lui restait qu’un maigre espoir… Peut-être saurait-il se montrer plus malin que Walron ? Une fois qu’il aurait l’antidote, peut-être…
- Je ferai selon vos désirs. Mais ne comptez pas sur moi pour trahir la résistance.
- Je ne vous le demande pas pour l’instant, mais sachez que vous êtes à présent en mon pouvoir. Nous reparlerons bientôt.
Walron s’en alla alors comme il était venu, sans ajouter un mot, laissant Taric seul face à ses pensées. Il n’était pas fier de ce qu’il venait d’accepter, mais avait-il eu vraiment le choix ? Une chose était certaine, cependant. Jamais Lanea ne pourrait lui pardonner ce qu’il allait faire.