Imela (6)
Par Alexandre Vaughan
La salle du trône était immense. Jamais Djashim n’aurait imaginé que la Tour d’Oeklos puisse receler une pièce d’une telle dimension. Elle avait la forme d’une demi-sphère : le sol était un cercle parfait d’un diamètre de 30 toises (60 mètres) et le plafond en forme de dôme culminait à 15 toises (30 mètres) au dessus de Djashim.
La porte par laquelle était entré le jeune homme se trouvait à l’une des extrémité de la demi-sphère, et le trône lui même était au centre de la salle. Sur tout le pourtour de la pièce étaient disposées une multitude de statues, certaines représentant des mages en robe de cérémonie, d’autres des hommes-sauriens, et d’autres encore des soldats ou des officiers de l’empire de Dûen. Certains de ces ouvrages avaient même l’allure de sénateurs de Niûsanif, le pays natal de Djashim.
Après avoir parcouru la pièce du regard, le jeune homme reporta son attention sur le trône. C’était un siège en obsidienne noir, posé sur un piédestal de marbre qui le portait à une toise et demie de hauteur. Tout autour du trône, des Gardes Impériaux protégeaient leur maître, Oeklos Ier, souverain de Niûmondor, le Nouvel Empire, comme il se plaisait à l’appeler.
C’était la première fois que Djashim voyait Oeklos en chair et en os, et sa première pensée fut qu’il n’avait rien d’humain. Il était très grand, bien plus que Djashim , qui avec ses trois pas un pied (1m75) était déjà de taille respectable. Ce n’était cependant pas la hauteur d’Oeklos qui trahissait le plus son inhumanité, mais son visage. Il était couvert d’écailles vertes, alternant entre le vert pâle et l’émeraude, mais sans avoir la forme allongée propre au visage des hommes-sauriens. Son nez était presque inexistant, et sa bouche se réduisait à une simple fente qui laissait parfois apparaître des canines disproportionnées. Ses yeux étaient dorés, et ses pupilles semblaient percer le cœur de tout ce qu’elles observaient.
L’empereur portait une simple robe très sombre, et une couronne d’or noir sans ornement ceignait son crâne chauve. Il tenait à la main une orbe en obsidienne qu’il caressait machinalement du pouce. Il était en grande discussion avec un maigre homme au teint grisonnant. Djashim le reconnut immédiatement. Il s’agissait de Walron, le premier ministre d’Oeklos, dont la cruauté dépassait, disait-on, celle de son maître.
- … Et pour finir, les migrations continuent vers le sud, votre altesse impériale, disait-il. Les Dûeni fuient en masse vers les contrées qui n’ont pas été recouvertes par les cendres et leurs villes se désertent. L’Empire de Dûen est incapable de payer les taxes qu’il nous doit, mais continue à nous presser pour que lui envoyions plus de vivres afin de conserver sa population. Les ducs avaient pourtant promis de régler ce problème.
- Et que recommandez vous, Walron ? demanda Oeklos. Sa voix était désagréable, à la fois rauque et sifflante, comme si un Sorcami tentait d’imiter la voix d’un vieillard.
- Je pense qu’il faut continuer à nous montrer ferme, votre altesse impériale. Plutôt que de céder à leurs demandes déraisonnables, annulons donc les deux prochaines expéditions de vivres que nous leur destinions. Cela les motivera peut-être à faire plus attention et à tenir leurs engagements.
- Une solution radicale, Walron, mais je n’ai pas mieux à proposer. Vous avez mon approbation.
- Merci, votre altesse impériale. Je m’en occupe sur le champ dit le ministre en se retirant.
Oeklos se tourna alors vers Djashim et son regard se fixa sur le jeune homme qui sentit des gouttes de sueur froide lui perler dans le dos. Les gardes entourant le trône semblaient quant à eux parfaitement impassibles.
- Capitaine Djashim Idjishîn, de la garde extérieure, finit par dire l’empereur. Approchez, je vous prie.
Djashim obtempéra sans attendre, priant intérieurement. Arrivé à quelques pas du trône, il s’inclina respectueusement.
- Votre altesse impériale, salua-t’il.
- Vos états de service sont excellents, capitaine. Vous avez su prouver votre loyauté et votre capacité à diriger mes soldats. J’ai besoin d’hommes de votre trempe, dont la jeunesse et l’ambition bénéficie grandement à la légion. J’aimerai donc vous offrir une promotion.
Oeklos marqua une pause, laissant à peine à Djashim le temps d’intégrer ce que l’empereur venait de dire. Une promotion ? Accordée par la maître du Nouvel Empire lui même ? Il fallait croire que le plan de Lanea avait parfaitement fonctionné. L’empereur reprit.
Le général Friwinsûn va bientôt devoir partir pour Sorûen où il sera chargé de diriger les légions de la seconde armée dans leur combat contre la résistance. Ces nomades cachés dans le désert nous posent encore bien des problèmes… Durant son absence, j’ai besoin d’un homme de confiance pour le remplacer. Pensez-vous être à la hauteur de cette tâche ?
Djashim retint son souffle. Commandant de la Garde Impériale ? C’était incroyable ! Quand Lanea saurait cela… Djashim se calma intérieurement et se concentra malgré son excitation. N’était-ce pas là un piège ? Est-ce que l’empereur ne cherchait pas à jauger son ambition ? Mais comment dire non à une telle offre ? Cela ne pouvait qu’accélérer son plan. Djashim prit une grande inspiration et répondit :
- Oui votre altesse impériale. Je vous servirai jusqu’à la mort, ajouta-t’il, réussissant tant bien que mal à conserver l’impassibilité de sa voix
- Ce ne sera peut-être pas nécessaire, répondit Oeklos, esquissant l’ébauche d’un sourire inhumain dans son visage de reptile. J’attends cependant de vous une loyauté sans faille. Votre obéissance sera récompensée, mais la trahison vous coûtera la vie. Pouvez-vous vivre avec cela ?
- Oui, votre altesse impériale.
- Très bien. Oeklos tendit un document enroulé et marqué de son sceau à l’un de ses gardes qui le transmit à Djashim. Voici vos ordres, applicables immédiatement. Vous devrez me présenter dès demain votre plan pour assurer ma protection. Est-ce clair ?
- Oui, votre altesse impériale.
- Vous pouvez disposer, général.
Djashim sortit de la salle du trône à reculons. Il fallait absolument qu’il contacte Lanea. Ce qui venait de lui arriver bouleversait tout !