Imela (5)
Par Alexandre Vaughan
Imela fit entrer le Sorcami et son compagnon dans la maison en ruine où elle avait établi son quartier général lorsqu’elle séjournait à Cersamar. Le bâtiment ne lui appartenait pas, bien sûr, mais personne n’était jamais venu lui réclamer quoi que ce soit, et elle doutait que son propriétaire soit encore vivant. De plus, cette maison se trouvait bien loin des quartiers encore considérés comme habitables. Elle était située au Nord de de la ville, non loin de l’endroit où le rayon céleste d’Oeklos avait frappé les murailles pour la première fois. Les ruines du mur qui l’entouraient le repère d’Imela le cachaient aux regards. Cela offrait un niveau de discrétion qu’appréciait tout particulièrement la capitaine du Fléau des Mers.
Demis fermait la marche, la main sur le pommeau de son sabre. A son expression, il était évident qu’il désapprouvait les actes d’Imela. Il savait cependant que dans ces occasions, le silence était d’or. Lorsque le capitaine avait décidé quelque chose, mieux valait ne pas se mettre en travers de son chemin.
D’un geste apaisant, la jeune femme fit signe à son second de se détendre. Elle ne discernait aucun danger immédiat dans la présence des deux étrangers, et elle était curieuse . Demis relâcha légèrement son emprise sur son arme, mais son regard restait fixé sur les inconnus alors qu’il fermait la porte du bâtiment.
Imela retira sa capuche et toisa les deux nouveaux venus de son regard le plus dur. Le Sorcami, Daethos, était véritablement très grand, mais il agissait de manière calme et posée, ce qui contrastait fortement avec ceux de ses semblables que la jeune femme avait pu connaître. Son compagnon humain, celui que Daethos avait appelé Aridel, était tout aussi mystérieux.
Imela n’arrivait pas à le cerner. Son apparence était celle d’un vétéran de la légion, et en cela il ressemblait à nombre de soldats qu’Imela avait connu. Il y avait cependant dans la démarche d’Aridel une certaine nonchalance gracieuse que la jeune femme n’avait vu que chez les officiers de haute naissance. Elle ne pouvait nier que derrière ces traits tirés et ce visage mal rasé, il y avait un certain charme. L’homme semblait cependant plongé dans un profond mutisme, à peine affecté par les événements qui venaient de se produire. C’était comme s’il ressassait dans les tête les mêmes pensées, encore et encore.
Un silence gênant s’installa. Personne ne semblait vouloir prendre la parole. A la surprise de tous ce fut Daethos qui eut le courage de parler en premier.
- Merci de votre aide, femme-Guerrier, dit-il d’une voix sifflante. Il est si rare que des inconnus risquent leur vie pour d’autres en ces temps troublés.
Le ton de l’homme-saurien semblait sincère, pour autant qu’Imela puisse l’interpréter. La jeune femme sentait de manière instinctive qu’il devait être digne de confiance, sinon pourquoi accompagnerait-il un humain… Elle inclina la tête en signe d’assentiment.
- Je vous en prie, Daethos. Et je m’aperçois que si je connais votre nom, vous ignorez tout du mien. Je m’appelle Imela, mais peut-être avez vous entendu parler de moi sous le nom de Lame-Bleue.
A ces mots, Demis eut un hoquet de surprise. Jamais son capitaine ne se présentait comme cela ! Sa tête était mise à prix dans tout l’Empire, et son nom, placé entre de mauvaises mains, pouvait signifier sa mort. Mais Imela devait avoir une idée derrière la tête. Et dans tous les cas, au moindre geste menaçant, Demis les éliminerait tous les deux.
Demis ne fut pas le seul sur lequel le nom d’Imela eut un effet. L’homme qui accompagnait Daethos, Aridel, sembla en effet sortir de son mutisme à cette annonce. Il leva la tête et se mit à parler d’une voix rendue rauque et pâteuse par l’alcool.
- Lame-Bleue… Votre nom ne m’est pas inconnu, en effet. Vous ne vous en souvenez peut-être pas, mais nous nous sommes déjà croisés.
Cette dernière phrase piqua la curiosité d’Imela.
- Vraiment ? demanda-t’elle. Et où cela ?
L’homme eut un léger rire.
- C’était dans le port d’Ûnidel, en Sortelhûn, si ma mémoire peut être digne de confiance. Mes compagnons et moi même étions alors au service du comte, et nous vous avions offert un verre, croyant que nous pourrions obtenir vos ``services’’… Nous avons vite compris notre erreur. Il est assez difficile d’oublier une femme officier de marine Dûeni capable de mettre à terre quatre hommes en arme. Je vois que vous avez parcouru du chemin depuis lors.
Imela ne put s’empêcher de sourire en se remémorant cet épisode. Elle avait cassé le nez du mercenaire qui croyait pouvoir profiter d’elle, et projeté à terre trois de ses compagnons. Les autres, dont probablement cet Aridel, avaient vite décampé. Alors qu’elle revivait dans sa tête ce souvenir, l’homme se remit à parler.
- Je pense malgré tout que vous auriez mieux fait de vous abstenir de nous aider, Daethos et moi. Tous ceux qui entrent en contact avec nous ont tendance à disparaître fâcheusement, et je ne veux plus être la cause de la mort de gens innocents.
Imela renifla.
- Ne croyez pas que je sois sans défense ! Je suis le capitaine d’un navire de guerre qui m’attend au large, et on ne se débarrasse pas de moi si facilement. Cela vaut pour vous également. Vous semblez réticent à me raconter votre histoire, mais à présent que vous connaissez mon nom, je ne peux vous laisser repartir comme cela. Mon équipage pourrait utiliser deux matelots tels que vous et votre compagnon. Que diriez-vous de me rejoindre ?
Demis protesta.
- Capitaine ! Nous ne savons rien de ces gens, je…
- Il suffit, Demis, coupa Imela. Ces étrangers sont poursuivis par les Chênadiri et cela me paraît bien suffisant comme raison de les prendre à bord. N’avons nous pas fait serment, lorsque nous avons quitté la flotte, de venir en aide à tous ceux qui fuient l’oppression ?
- C’est un grand risque, capitaine.
- Nous sommes de taille à nous défendre s le pire se produit. Et mon instinct me dit d’aider ces hommes. Elle se tourna vers Aridel et Daethos. Que pensez vous de ma proposition ?
- Il y a à boire à bord ? demanda alors Aridel, sur un ton de demi-plaisanterie.
- Oui, répondit Imela sur le même registre, mais ne vous attendez pas à ce que ce soit gratuit. Vous devrez travailler, comme tout le monde. Et n’espérez pas de traitement de faveur.
Le mercenaire leva les yeux vers son compagnon, qui hocha discrètement la tête.
- Nous acceptons, capitaine, dit-il sans pouvoir cacher la pointe d’ironie dans sa voix.
Imela prit un air sévère.
- Très bien. Avant de rejoindre notre navire, cependant, j’ai un tâche à accomplir ici. Je dois trouver un homme du nom d’Omacer. Savez-vous s’il est encore en ville ?
- Omacer ? dit Aridel étonné. Qu’est ce que vous avez à faire avec ce vieux fou ?
- Cela me regarde. Savez-vous où il réside ?
- On peut vous conduire à lui, mais vous risquez d’être déçue. Il passe son temps à divaguer et à parler de volcans et de cités englouties. Et si vous lui offrez une bonne bouteille, il peut palabrer pendant des heures.
- Heures que vous avez probablement passé ensemble à boire, je n’en doute pas, répondit Imela, sarcastique. Je veux le voir, dans tous les cas. Nous partirons d’ici quelques heures, le temps de laisser retomber les événements de l’auberge du Marin. Des objections ?
- Aucune, capitaine, dit Aridel, toujours railleur.